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dans la convenance. Ce n’est pas l’énormité de la liste civile qui fait l’ascendant de la couronne. Les monarques anglais n’en ont qu’une très modeste, et ils n’y perdent pas dans l’affection et le respect de leurs sujets. Les traitemens des principaux fonctionnaires de l’état étaient trop élevés, on les a réduits plus tard avec raison. En revanche, la dotation des travaux publics n’était pas suffisante. Le grand mérite de la restauration est dans les budgets de la guerre et de la marine, qui n’atteignaient pas ensemble 300 millions en 1829, et s’étaient longtemps maintenus fort au-dessous. La monarchie de 1830 les a portés à 450 millions, et le gouvernement impérial à 600, 700, quelquefois même à 800 millions. Cette progression neutralise en partie l’heureuse influence que les découvertes du génie moderne ont eue sur le développement de la richesse, elle fait que la France se laisse dépasser par ses principaux voisins dans les progrès de la population et de la production. Jamais au contraire ces progrès n’ont été plus marqués que sous la restauration ; la France regagnait alors ce que la république et l’empire lui avaient fait perdre, parce que les dépenses militaires se renfermaient dans de justes limites.

On peut enfin reprocher à la restauration son système de douanes. Il reposait tout entier sur l’idée fausse et étroite de la protection. On ne doit pas en accuser le gouvernement lui-même, car il fit plusieurs efforts pour y échapper ; mais la majorité de la chambre des députés était intraitable. Nos tarifs restèrent hérissés de prohibitions et de droits prohibitifs. Le mal qui en résulta ne fut pas bien grand, car le principal caractère du système protecteur, surtout en ce qui concerne l’agriculture, est l’impuissance. Malgré la législation savante de l’échelle mobile, les progrès de l’agriculture firent tomber les blés aux prix les plus bas qu’on ait jamais vus, et toutes les combinaisons imaginées pour les relever échouèrent. L’abondance amenait la vie à bon marché en dépit de la protection, de même que l’insuffisance de la production amène aujourd’hui la cherté malgré la liberté du commerce. L’effet fut un peu plus sensible sur l’industrie. Le développement industriel et commercial en fut gêné ; mais la paix suffit pour donner un grand élan. Le commerce extérieur doubla en quinze ans ; il passa de 600 millions à 1,200 en dépit des restrictions douanières. Ce fut le trésor public qui souffrit le plus du système protecteur. À la chute de la restauration, les douanes rapportaient 100 millions ; elles auraient rapporté beaucoup plus, si les tarifs avaient été uniquement calculés au point de vue fiscal, et cette recette aurait permis d’alléger d’autres impôts, peut-être de remplir la promesse des Bourbons pour l’abolition des droits réunis. L’accomplissement de cette promesse manque à l’histoire financière de la restauration.

L. DE LAVERGNE.