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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 décembre 1868.

Voici donc la dernière heure d’une année qui disparaît en réveillant chez tous les hommes le sentiment de la fuite des choses. Elle n’a plus rien à nous donner, cette année qui s’en va derrière nous en tourbillonnant comme les rafales d’hiver ; nous n’avons plus rien à lui demander, elle ne peut plus rien pour nous. Tout ce qu’elle renfermait d’obscur et d’inconnu, elle l’a livré à notre curiosité ou à nos désirs. Elle a porté aux uns la joie, aux autres le deuil, à ceux-ci des révolutions, à ceux-là un répit entre deux tempêtes ; à tous elle lègue des souvenirs qui font désormais partie de l’histoire. Elle n’a résolu en vérité aucun des problèmes qui agitent aujourd’hui le monde, problèmes d’équilibre entre les nations ou d’organisation intérieure dans les sociétés. Tout ce qu’on peut dire d’elle, c’est qu’elle a été une année de paix ou plutôt une année d’observation et d’expectative au milieu des ambitions, des intérêts, des antagonismes toujours prêts à faire explosion, mais toujours contenus par une force supérieure. Elle s’en va maintenant, et en finissant elle laisse l’Europe en face d’un de ces conflits auxquels elle ne peut échapper de temps à autre, — la France en face d’un de ces changemens ministériels qui viennent quelquefois la surprendre quand elle ne s’y attend plus.

Le conflit de la Turquie et de la Grèce est en effet un des legs de l’année qui s’achève à l’année qui commence. Il a failli échapper à la diplomatie, tant les événemens semblaient se précipiter. La Turquie s’était hâtée de dépêcher son ultimatum à Athènes en laissant à peine quelques jours de réflexion aux ministres du roi George. La Grèce, fort émue, faisait mine de résister à la sommation. On n’avait pas eu encore le temps de se reconnaître que la rupture éclatait déjà, et l’amiral turc, un capitaine anglais passé au service de la Porte, Hobart-Pacha, était chargé d’aller croiser devant Syra pour donner la chasse à un corsaire, l’Enosis,