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de sa doctrine, Darwin a été irrésistiblement entraîné à la formuler. Il lui était impossible en effet, à moins d’ébranler dans ses fondemens tout l’édifice si habilement élevé, de ne pas accepter ce qu’il appelle un prototype primitif, ancêtre commun des animaux et des plantes. Que pouvait être ce premier père de tout ce qui vit ? L’auteur se borne à l’indiquer comme ayant pu être une forme inférieure intermédiaire entre les deux règnes ; mais quiconque aura suivi attentivement sa pensée fera un pas de plus, et dira que cette forme devait être la plus simple, la plus élémentaire possible. La cellule, le globule de sarcode ou de cambium, isolés, mais organisés, vivans, doués du pouvoir de se multiplier, soumis par conséquent à la lutte pour l’existence et à la sélection, voilà d’où le darwinisme fait descendre de transmutations en transmutations les mousses comme les zoophytes, le chêne comme l’éléphant.


II.


Telle est en résumé la doctrine de Darwin. Je n’hésite pas à le répéter, pour qui accepte certaines hypothèses que je discuterai plus tard et un mode d’argumentation qu’il me faudra combattre, pour qui oublie certains faits que j’aurai à rappeler, cette doctrine est des plus séduisantes. Dans ses prémisses, elle présente à un haut degré le cachet de la science moderne ; elle ne marche qu’appuyée sur les faits. Si plus tard elle s’égare, c’est qu’il était impossible de ne pas le faire en cherchant à traiter un pareil sujet. L’auteur marche d’ailleurs logiquement de déductions en déductions, accumulant ce qu’il regarde comme des preuves directes, en cherchant de nouvelles dans les applications faites à l’histoire du passé et du présent des deux règnes organiques comme à celle des individus. Souvent on est surpris de l’accord curieux qui existe entre la théorie et la réalité ; souvent des phénomènes jusqu’ici inexpliqués viennent se placer comme d’eux-mêmes dans le cadre tracé d’avance. Cette théorie est bien éloignée des conceptions un peu vagues de Geoffroy Saint-Hilaire, qui admettait seulement les transformations brusques accomplies pendant la période embryonnaire ; elle s’écarte presque autant de celles de Bory de Saint-Vincent, qui rattachait toutes les modifications des êtres organisés aux actions du milieu physico-chimique, sans rien dire du mécanisme de ces actions. Elle présente au contraire de sérieux et nombreux rapports avec celle de Lamarck, dont elle se distingue pourtant par plusieurs points essentiels. Darwin et Lamarck partent tous deux des phénomènes de variation observés dans les espèces domestiques ou sauvages, et les attribuent aux mêmes causes physiologiques ; tous deux