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cette fois que l’habitude et le goût. Par une étrange anomalie qui fait plus d’honneur à l’espèce humaine qu’aux individus qui la composent, il se trouve en effet qu’aux plus lugubres époques de l’histoire, même aux heures mauvaises où la liberté ne leur souffle plus ses généreuses inspirations, où la publicité a cessé de les défendre contre les honteuses tentations, par cela seul qu’ils siègent ensemble, les membres d’une réunion délibérante ne peuvent jamais mettre en commun que leurs plus honnêtes sentimens. Exigez-en tout ce que vous voudrez; ne leur demandez pas de se déshonorer, n’essayez même pas d’en obtenir le moindre sacrifice de ce qui constitue leur esprit de corps. Ils ne vous l’accorderont point. Abordé isolément, chacun d’eux vous octroiera, en fait de concessions fâcheuses, au-delà peut-être de ce que vous aurez souhaité; pris ensemble, ils ne vous céderont plus quoi que ce soit. Il leur faut la complicité du silence et les mystères du tête-à-tête pour accepter les vilains marchés et consentir aux dégradans sacrifices.

Au milieu des nombreuses tristesses qui vont aller s’accumulant dans notre récit, ce sera presque une consolation pour nous de constater que l’influence énervante de Napoléon ne gagna guère de terrain pendant la tenue régulière des séances du concile. S’il resta le directeur à peu près absolu de la conscience des trois ou quatre évêques que nous avons déjà nommés, jamais l’empereur ne parvint à faire de recrues au sein du concile, aussi longtemps du moins qu’il fut permis à ses membres de se réunir et à quelques évêques opposans plus courageux que leurs collègues de réfuter hautement les doctrines du chef de l’état. Admises sans conteste par le cardinal Maury, par l’abbé de Pradt, par MM. de Barral, Duvoisin, et préparées de concert avec eux dans les conférences tenues à Saint-Cloud, ce fut le sort commun à toutes les propositions impériales d’être fortement contredites et le plus souvent amendées au sein des commissions particulières pour venir se transformer plus complètement encore ou échouer définitivement devant la majorité réunie en congrégation générale. Telle est, à vrai dire, toute l’histoire du concile national de 1811, et notre prochaine étude aura presque uniquement pour objet de raconter à nos lecteurs comment, pour se procurer les défaillances épiscopales désormais nécessaires à l’accomplissement de ses desseins, l’empereur en fut réduit non-seulement à faire conduire trois des membres principaux du concile au donjon de Vincennes, mais à dissoudre le concile lui-même, et, le concile dissous, à procéder à l’égard de chacun de ses membres par voie de captation individuelle.


D’HAUSSONVILLE.