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ses raisons; il avait consulté sa conscience, et sa conscience ne lui permettait décidément pas de prêter le serment en question. « Eh bien! monsieur, votre conscience n’est qu’une sotte, répondit Napoléon en tournant le dos à son interlocuteur[1]. » C’était s’aliéner par des paroles gratuitement blessantes un prélat consciencieux qui, sans arrière-pensée, suivait alors ce qu’il croyait être pour lui la ligne du devoir. Au point de vue politique, les scrupules de l’évêque de Gand, alors même qu’il les trouvait mal fondés, auraient dû être d’autant plus respectés par l’empereur qu’il allait bientôt fournir à ce même prélat d’autres griefs qui n’avaient rien de spécieux, et qui risquaient d’être plus facilement partagés par les autres membres de l’épiscopat.

Tandis que l’empereur faisait successivement à l’évêque de Séez, à M. Le Gallois et à M. de Broglie les scènes que nous venons de raconter, son oncle le cardinal Fesch donnait de son côté aux prélats du concile national, déjà arrivés à Paris, et qu’il réunissait presque tous les soirs dans son magnifique hôtel de la rue du Mont-Blanc, un spectacle presque aussi extraordinaire, et les surprenait par l’étrangeté de ses prétentions. Tous ces messieurs étaient facilement tombés d’accord qu’à lui seul devaient naturellement revenir les fonctions de président du concile, et chacun s’apprêtait à lui donner sa voix, en considération non-seulement de son zèle incontestable pour la religion, mais à cause des avantages qui résulteraient pour l’assemblée elle-même de sa position personnelle vis-à-vis du souverain. A la stupéfaction générale, il se trouva que le cardinal ne l’entendait pas ainsi. Il se refusa obstinément à ce mode d’élection, prétendant que la présidence lui appartenait de droit, comme au primat des Gaules et à l’archevêque de l’église de France la plus ancienne et la plus qualifiée. En vain le cardinal Cambacérès lui représenta que depuis le concordat tous les sièges épiscopaux de France étaient égaux, et dataient de la même origine ; le cardinal Fesch n’en voulut absolument point démordre, et, avec une sorte d’âpreté à laquelle personne ne comprit jamais rien, persista à rejeter l’honorable témoignage de confiance que lui offraient ses collègues pour revendiquer uniquement ce qu’il appelait son droit. Plus raisonnables que lui, les évêques finirent par céder. Par une anomalie singulière, et comme si rien ne devait être parfaitement correct dans ce concile. Napoléon, à qui déplaisait cette prétention de son oncle, et qui ne se souciait pas de reconnaître à aucune église de France le privilège d’une sorte de prééminence officielle, jugea convenable, lorsqu’il décerna plus tard par décret

  1. Notice historique sur M. de Broglie, évêque de Gand, précédant le recueil des mandemens de ce prélat, p. 20, Gand, 1843.