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dait hommage quelques années plus tard le rédacteur de la préface de l’Encyclopédie. « Les savans, disait-il, n’ont pas toujours besoin d’être récompensés pour se multiplier, témoin l’Angleterre, à qui les sciences doivent tant, sans que le gouvernement fasse rien pour elles. Il est vrai que la nation les considère, qu’elle les respecte même, et cette espèce de récompense, supérieure à toutes les autres, est sans doute le moyen le plus sûr de faire fleurir les sciences et les arts, parce que c’est le gouvernement qui donne les places et le public qui distribue l’estime... L’amour des sciences, qui est un mérite chez nos voisins, n’est encore à la vérité qu’une mode parmi nous, et ne sera peut-être jamais autre chose. »

Les impressions variées que la société anglaise fit sur Voltaire se retrouvent dans les Lettres philosophiques ou Lettres sur les Anglais, qu’il écrivit pendant son séjour à Londres. Publiées en anglais dès l’année 1728, elles ne parurent en France que vers 1735, et devinrent alors pour l’auteur la cause de mille tracas. Ces lettres, ces correspondances vives et légères, — comme nous dirions maintenant, — passent en revue la politique, la religion, la condition des gens de lettres, la littérature proprement dite sous toutes ses formes. Voltaire y trouve mille occasions de signaler et de combattre les préjugés de la société française; mais on peut dire que le mouvement scientifique y occupe une place d’honneur. Voltaire sent vivement que, sous le rapport des sciences et de la méthode philosophique, la France est fort en retard sur l’Angleterre, et il s’applique à le faire comprendre à ses concitoyens. Trois noms lui servent surtout à cet usage, trois noms illustres, ceux de Bacon, de Locke et de Newton.

Bacon était fort estimé en France, mais plus estimé que connu, et, si l’on y approuvait sa méthode, on ne la suivait guère. Il avait tracé le premier les véritables règles de la philosophie expérimentale; il avait montré comment les hommes doivent établir l’édifice de leurs sciences par l’observation et l’expérimentation; il avait dressé le bilan bien modeste des connaissances positives de son temps et indiqué les voies où l’on devait s’engager pour en acquérir de nouvelles. L’œuvre de Bacon avait porté ses fruits en Angleterre, ses conseils avaient été entendus et suivis, ses livres mêmes en étaient venus à ce point où arrivent beaucoup de travaux éminens qu’on néglige parce qu’on en a tiré tout le profit qu’ils peuvent donner. En France au contraire, il y avait opportunité à les rappeler à un public trop épris de chimères, et qui avait encore beaucoup à apprendre dans le Novum Organum et dans le traité De dignitate et augmentis scientiarum.

Locke avait appliqué à l’étude de l’homme le principe de restau-