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obtenues en obtenir de nouvelles, jusqu’à l’heure où il serait assez fort pour briser les derniers anneaux de la chaîne et constituer la Serbie indépendante. On voyait bien des pachas s’affranchir de la souveraineté de Constantinople sans autre droit que celui de l’épée, sans autre mobile que l’ambition personnelle ; un chef chrétien qui ne tenterait pas la même aventure pour le salut de ses frères serait un lâche ou un traître. Voilà donc la lutte engagée, Maraschli essayant de ramener les Serbes sous le joug, Milosch résolu à conquérir pied à pied le sol de la patrie. La guerre à main armée est finie, la guerre des ruses va s’ouvrir. Qui sera le plus fin, de Maraschli ou de Milosch ? qui tendra le mieux ses piéges ? qui saura le mieux éviter l’embûche ou la rompre ?

L’ordre était rétabli ; le paysan était retourné à ses troupeaux, le laboureur à sa charrue. Était-il possible cependant qu’après une guerre ai montagnes si vive, si acharnée, les bandes fussent dispersées tout à coup ? Il y avait toujours des haïdouks, et non plus des héros barbares, mais de vrais bandits. Les chrétiens en souffraient autant que les Turcs. Le moment est bon pour Maraschli de demander à Milosch le désarmement des Serbes. Si le nombre des brigands s’accroît, c’est que l’occasion tente le paysan, c’est qu’il a perdu l’habitude du travail ; ses armes le perdent, il faut les lui enlever au plus vite pour qu’il reprenne la pelle et la pioche. Tout cela était dit par le pacha tantôt avec bonhomie, tantôt avec une insistance singulière. Il y eut même à ce sujet des ordres formels venus de Constantinople. Milosch employait aussi tous les tons, opposant à la bonhomie rusée une indifférence souriante, aux injonctions impérieuses une fermeté inflexible. « Désarmer les Serbes ! disait-il, c’est impossible ; ils n’y consentiront jamais. Plutôt que de se livrer ainsi à la discrétion des Turcs, ils affronteront les périls d’une nouvelle guerre. Nous avons ta promesse, cette promesse qui a mis fin aux hostilités. Je t’en prie, ne reviens plus sur ce sujet, dont je ne puis entendre parler qu’avec douleur. C’est à toi d’éclairer les ministres du padischa ; conseille-leur de renoncer à un projet qui entraînerait d’effroyables calamités. »

Que fit Maraschli ? Tant que Milosch aurait sur les hommes de sa race une sorte de souveraineté, le désarmement des raïas, il le voyait bien, serait chose impraticable. Il fallait donc supplanter ce chef incommode. Son jeu était de diviser les Serbes, d’envenimer les jalousies, de mettre aux prises les ambitions rivales ; il se trouverait bien un personnage qui, pour obtenir l’appui des Turcs contre Milosch, consentirait au désarmement. Parmi les hommes qui étaient ou se croyaient en mesure de disputer la prééminence à Milosch, deux surtout se faisaient déjà remarquer par des préten-