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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


solut de les voir tous les deux et de choisir pour négociateur de la paix celui qui offrirait les meilleures conditions. Il y avait une rivalité ancienne entre les deux vizirs, rivalité envenimée de nouveau par le règlement des affaires de Serbie ; Milosch n’était pas homme à négliger de tels avantages. Il se rendit d’abord auprès de Kurchid en son camp de la Drina. Quelques-uns de ses voïvodes l’accompagnaient ; mais quoi ! se livrer ainsi : aux Turcs, lui dont la mort eût anéanti les espérances des Serbes ! Milosch comptait sur son étoile, il se confiait aussi dans la parole de ceux qui l’avaient appelé. Il faut avouer, dit un homme qui a vécu longtemps au milieu des Ottomans et des Serbes, — il faut avouer que malgré leurs excès, les délhis et autres aventuriers turcs observent religieusement leur parole ; ils se feraient couper en morceaux plutôt que de trahir un homme qui aurait accepté leur protection. Or le général des délhis, Ali-Aga, était venu à sa rencontre et lui avait dit : « Sois sans crainte, je te protégerai ; si tu ne te mets pas d’accord avec le pacha, je te reconduirai sain et sauf hors du camp[1]. » Le knèze des Serbes, arrive donc, et Kurchid, voyant un personnage de taille moyenne, corps souple, fine moustache : « Est-ce bien toi, Milosch ? lui dit-il. — Oui, c’est bien moi. — Quoi ! Milosch à Ljoubitch ? Milosch à Poscharevatz ! Milosch à Douplia ! Milosch partout ! Je l’aurais cru un géant. » Il lui demande alors pourquoi il s’est soulevé, étant knèze de Roudnik par l’autorité du sultan. Milosch dépeint dans les termes les plus vifs l’horrible tyrannie du pacha de Belgrade ; si lesSerbes ont eu recours à la force, c’est que, circonvenus de tous côtés, ils n’avaient aucun autre moyen de faire parvenir leurs plaintes à Constantinople. « Eh bien ! dit Kurchid, que les Serbes livrent leurs armes, ils seront traités comme les sujets turcs, ils seront soumis aux mêmes lois, ils seront libres de s’habiller comme ils voudront, les règlemens qui déterminent le costume des raïas seront déchirés pour eux, et un pacha plus humain remplacera Soliman à Belgrade. » On pense bien que Milosch demandait autre chose. Il feint pourtant de consentir, car il devine au langage et à l’attitude de Kurchid que le vizir l’a attiré dans, son camp pour l’y retenir captif. Ce n’était pas trop de sa souplesse et de sa fermeté pour se tirer de ce mauvais pas. Vainement assure-t-il qu’il veut porter ces propositions aux Serbes, et que lui seul pourra les faire accepter : Kurchid prétend le garder auprès de lui afin de régler les points en litige ; est-ce que Dimitri, le secrétaire du knèze, et les voïvodes de sa suite ne suffiront pas à transmettre

  1. Le docteur Cunibert, ancien médecin en chef au service du gouvernement serbe. Voyez son Essai historique sur les révolutions et l’indépendance de la Serbie ; Leipzig 1855, t. Ier, p. 121.