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plus apte à les embrasser et à les rendre toutes, le plus encyclopédique en un mot, nous prendrons Voltaire; nous nous demanderons ce qu’il a su et pensé sur les principaux problèmes qui composent le domaine des sciences proprement dites.

L’esquisse que nous ferons ainsi nous donnera un aperçu de l’état des choses; mais elle sera nécessairement incomplète et tout empreinte de la personnalité de notre auteur. Voltaire en effet est avant tout un homme de combat; sa vie est une lutte de soixante ans, lutte incessante pour le triomphe de la raison. Il a cherché des armes de toutes parts; il a discipliné pour les mènera la guerre tous les genres de littérature, la prose et les vers, la tragédie et la comédie, la philosophie et le roman, l’histoire et l’épopée. Les sciences lui ont aussi fourni leurs bataillons; elles prennent donc entre ses mains l’allure militante, elles courent sus à l’ennemi, elles s’occupent de détruire au moins autant que d’édifier. On sait ce que Voltaire répondait à ceux qui lui reprochaient de ne faire que des ruines. « Eh quoi! disait-il, je vous délivre des monstres qui vous dévoraient, et vous me demandez ce que je veux mettre à leur place! » C’est ainsi qu’en fait de sciences il s’attaque souvent aux systèmes sans prétendre à les remplacer.

Quant à la physionomie même de Voltaire, il y a sans doute quelque inconvénient à la présenter sous un jour où l’on n’est pas accoutumé de la voir. Il n’est pas, à proprement parler, un homme de science, et la science ne joue dans sa vie qu’un rôle secondaire. En n’éclairant qu’un seul côté, et le côté même qui reste ordinairement dans l’ombre, on risque de faire grimacer le modèle. Heureusement les traits en sont assez connus pour que chacun puisse les rétablir sans peine. Il est donc entendu que le Voltaire qu’on va voir est présenté non de face, de trois quarts ou de profil, mais sous un angle très effacé et presque de dos. Nous tâcherons cependant de le placer de façon qu’on puisse à la rigueur le reconnaître en apercevant un coin de sa lèvre moqueuse.


I.

Voltaire n’avait reçu chez les jésuites, au collège de Louis-le-Grand, qu’une instruction purement littéraire; s’il y avait acquis quelques notions sur les élémens des sciences, il les avait sans doute perdues dans les premiers entraînemens de sa carrière. La tragédie d’Œdipe et le poème de la Henriade avaient dû faire tort au peu qu’il pouvait savoir de géométrie ou de physique. L’incident qui le fit exiler en Angleterre après ses premiers succès contribua puissamment à lui ouvrir des voies nouvelles; il prit à Londres le goût