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se hâte d’avertir Milosch, et de conjure de prendre le commandement des Serbes comme Kara-George en 1804. Que se passe-t-il dans l’esprit de Milosch ? Lui seul aurait pu le dire. Il est clair toutefois qu’il n’hésita point longtemps. Examinant d’un coup d’œil les chances de la situation, il vit qu’une révolte si peu préparée serait la ruine des Serbes ; son devoir était d’étouffer l’insurrection au plus vite. Il commence par prévenir le pacha de Belgrade. Un de ses amis, le pope Simon., va le trouver de sa part, lui raconte ce qui se passe et lui donne l’assurance que tout sera réprimé. « Je te remercie, mon fils, lui écrit Soliman en le comblant d’amitiés ; mon lieutenant part avec mes troupes, il faut te joindre à lui pour dompter les rebelles. Ceux qui se rendront à toi, ceux que tu ramèneras à la soumission et à la fidélité, pas un cheveu ne tombera de leurs têtes, » Sans perdre une heure, et n’oubliant pas d’emmener avec lui le musselim de Poschega, qui rendra témoignage de son zèle, Milosch court bride abattue vers tous les lieux où s’agitent ses anciens compagnons de guerre. Bas les armes ! c’est Milosch qui l’ordonne. Et souple, insinuant, il prend tous les tons pour les convaincre, tantôt la gravité du commandement, tantôt la familiarité moqueuse. Quand les Turcs ne peuvent l’entendre : « Êtes-vous fous ! dit-il aux Serbes. ; si l’heure était venue de briser nos chaînes, n’est-ce pas moi qui le saurais le premier ? » Les chefs se soumettent, les esprits s’apaisent, Hadschi-Prodan s’enfuit ; ces flammes folles qui ne pouvaient qu’incendier le pays sont étouffées en un instant. Sur un point seulement, les insurgés tiennent bon ; Milosch les attaque au tomber de la nuit, et ne réussit pas à les déloger. .N’importe, l’attaque a produit son effet ; les hardis jeunes hommes étaient résolus à se faire tuer par les Turcs, quand ils voient que Milosch est sérieusement contre eux, ils se dispersent avant le lever du jour. Voilà la première des insurrections arrêtées par Milosch au profit des Turcs, voilà aussi le .premier chef d’accusation qui le désignera aux vengeances populaires, quand son despotisme et ses cruautés auront soulevé tant d’ennemis. Lui, Milosch, le chef des Serbes, le parrain, le lieutenant de Kara-George, lui que Kara-George avait chargé de continuer son œuvre, il a tiré avec les Turcs sur les nobles enfans de la Serbie ! C’est ainsi qu’on parlera en 1839. À vingt-cinq ans de distance, au milieu des passions furieuses, il est facile de dénaturer les choses. Les témoins de 1814 tenaient un autre langage. Écoutons un chroniqueur dont la naïveté même garantit l’impartialité. « Dans cette insurrection, dit M. Fedor Possart, Milosch s’est acquis honneur et confiance non-seulement auprès de Soliman-Pacba, mais auprès du peuple serbe : auprès de Soliman-Pacha, parce que, loin de se joindi-e aux insurgés, il est resté fidèle à ses engagemens et a rétabli la paix ; auprès du peuple