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en renom dans ce grand art du chant italien se décourager à l’idée d’un pareil succès. Qu’y faire, si l’esprit du temps le veut ainsi ? Se représente-t-on bien ce qu’il fallait jadis d’études et de facultés innées, de conditions spéciales, pour devenir une cantatrice dans le goût des Frezzolini, des Grisî ? Je ne cite, on le voit, que les simples mortelles, et ne veux point parler des olympiennes : les Pasta, les Sontag, les Malibran. Poser la voix, respecter la mesure, donner à chaque note sa valeur propre, tout cela nous semble bien simple et l’est en effet, puisque tout cela peut l’apprendre dans la première méthode de chant venue. C’est l’enfance de l’art, ou, pour mieux dire, l’art de l’enfance, et cependant hors de ces règles point de correction, et sans la correction point de chant. Nous ne sommes pas au bout, car la correction, à elle seule, ne constitue pas le talent, il y faut joindre encore l’âme et l’intelligence dramatiques ; il faut, difficulté inouïe et sous laquelle on a vu succomber les plus habiles, comprendre la situation, s’en emparer, la rendre dans son plein, et faire incessamment concorder l’entraînement de l’expression avec les règles fondamentales du rhythme et de l’intonation. La simple et méthodique observance des règles, incapable de jamais nous enlever, a du moins cela de bon qu’elle nous- laisse écouter en repos, tandis que je ne connais rien de plus agaçant que l’enthousiasme qui détonne, la passion qui vocifère ou cette fantaisie extra-poétique et pathétique qui va ralentissant la mesure à tout propos et ne sait pas faire une gamme. Les règles sont là pour être suivies ; c’est au dedans, non point au dehors de leur cercle, que l’élan dramatique comme le brio fantaisiste d’une cantatrice doivent se donner carrière. Au lieu de cela, que voyons-nous ? Qu’est-ce, pour une Murska, que l’émission de la voix, la pureté, l’égalité du son ? En quoi se préoccupe-t-elle de savoir si tel morceau est rendu par elle selon l’esprit et le mouvement du maître qui l’a conçu ? Qu’importent à cette amazone et la musique en général et l’art du chant en particulier ? Avant de lire et de se rendre compte de ce que c’est que le style, il s’agit d’épeler l’alphabet. La loi première est de se mouvoir, de marcher vite ou lentement ; puis, si l’on sent en soi la vocation, on aborde la haute école, et, le travail aidant, on devient un gymnasiarque, un Léotard ! Autrefois tel était le cours des choses. On commençait par apprendre à fond son affaire ; ainsi le talent se formait, et de cet ensemble de qualités naturelles et acquises, de cette union, de cette harmonie de l’âme et du clavier vocal bien tempéré, comme dit le vieux Bach, se dégageaient peu à peu les grandes tendances esthétiques. — Mais de quoi vais-je parler là ? Des tendances esthétiques à une époque où la fantaisie seule bat la mesure, où le chevrotement et le bêlement d’Agnelet sont en honneur sur les plus hautes scènes, où le tempo rubato tient lieu de tout ! Des tendances esthétiques à une époque où le bon sens, le goût, le sentiment, sont si peu ménagés ! A l’Opéra, aux Italiens, à l’Opéra-Comique, au Théâtre-Lyrique, partout où l’on chante, le rallentando règne