Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/1051

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins, c’est probablement qu’elle y est chez elle, sur son terrain, jouant, chantant et minaudant devant un public trop habitué à ce genre de délicatesse pour s’émouvoir de si peu. N’oublions pas que c’est dans la capitale de l’Autriche, au pays même de Haydn, de Mozart et de Beethoven, que cet affreux produit de notre dégénérescence, l’opérette-bouffe parisienne, trouve en ce moment son plus riche centre d’importation. Du reste, cette façon d’être toute de chic, ce ton cascadeur des Thérésa et des Silly étaient déjà représentés parmi nous d’assez longue date ; d’autres les avaient mis à la mode dans les plus hautes régions de la société. Le Théâtre-Italien semblait rester en dehors du mouvement, il y fallait quelqu’un pour naturaliser ce bel art sur ses planches ; Mlle de Murska sera cette nouvelle ambassadrice, et c’est là probablement ce qui fera sa gloire et sa fortune.

Je m’étonne que le Théâtre-Italien, avec la tête de troupe allemande dont il dispose, n’essaie pas de mettre à la scène divers ouvrages du grand répertoire de Beethoven et de Weber. Qui n’aimerait à entendre Mlle Krauss dans Fidelio, à lui voir jouer l’Agathe du Freyschütz, l’Eglantine d’Euryanthe, en ayant pour lui faire vis à-vis Mlle de Murska, qui dans Oberon serait une Rezia très originale ? On objectera peut-être qu’à la salle Ventadour les innovations de ce genre ne rendent pas ordinairement ce qu’elles coûtent. C’est possible, mais alors pourquoi perdre son temps à monter des ouvrages qu’on représente trois fois ? Il ne m’est pas prouvé que l’Oberon de Weber, chanté comme il pourrait l’être aujourd’hui aux Italiens, ne fût pas, même au seul point de vue de la spéculation, une bonne entreprise, et cette expérience, de quelque façon qu’elle tournât, vaudrait à coup sûr toujours mieux que celle que nous voyons se renouveler chaque année avec un égal insuccès. Je ne voudrais pas médire du Piccolino de Mme de Grandval ; il y a dans cette partition un savoir-faire assurément remarquable chez une femme. Si l’invention manque un peu, si les idées mélodiques ne dépassent guère un certain tracé, du moins doit-on applaudir à cette entente des voix et de l’orchestre qui dénote chez une personne du monde une connaissance très méritoire de l’art. Cela pourrait tout aussi bien être d’un prix de Rome, et ni M. Wintzweiler ni M. Rabuteau, les lauréats de la cantate de cette année, n’écrivent mieux la partition ; ce qui n’empêchera pas le public de se demander ce que viennent faire ainsi sur l’affiche les ouvrages destinés, comme la Contessina ou Piccolino, à en disparaître le surlendemain. On arrive plein de bienveillance, on écoute, on applaudit comme dans un salon ; puis, en sortant de là, chacun cherche, et toujours vainement, pour qui s’est jouée la comédie, car au fond, personne n’est content : auteurs, acteurs et directeurs, tout le monde en est pour ses frais, et cependant l’année suivante vous voyez inévitablement la même anecdote se reproduire.

Revenons à la Murska. J’entendais l’autre soir un des maîtres les plus