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l’organe, on arrive épuisé au grand duo du quatrième acte, et c’est avec un coup de collier désespéré qu’on enlève le sublime andante que la voix se refuse à chanter piano. Quelle idée avoir d’un chanteur qui, dans un de ces morceaux où quatre, cinq, six et sept voix doivent concerter ensemble, ne se propose qu’un seul but : forcer le son et faire par là que sa voix prédomine sur toutes les autres et les étouffe ? C’est à ce beau système que le fameux trio des masques, dans Don Juan, doit son espèce de discrédit à l’Opéra. Mme Sass mettait dehors toute sa voix ; de son côté, pour ne pas être en reste, Mme Gueymard surmenait la sienne, et M. Naudin, avec ses traditions d’école italienne, perdait sa peine à vouloir contenir et modérer cette dona Anna et cette Elvire résolues à renchérir à mort l’une sur l’autre, d’où il advint que Ce fut le morceau qui périt. Dans le septuor des Huguenots, M. Colin renouvelle chaque soir la même indiscrétion : il force et ralentit outre mesure. Parlerai-je de son duo avec Valentine, chef-d’œuvre incomparable du chant dramatique moderne, où toutes les occasions viennent s’offrir au ténor de faire valoir une belle voix dans son expression la plus tendre et la plus pathétique, comme aussi dans ses plus violens éclats ? Malheureusement l’art de nuancer est un secret que M. Colin ignore presqu’à l’égal de Mlle Julia Hisson. La chanteuse entame l’action avec sa furie intempestive, le ténor la suit sur son terrain ; bientôt l’égarement de la passion amène l’égarement des voix, l’une chante trop haut, l’autre, toujours forçant, chante un quart de ton trop bas, et ce duo, point culminant de l’œuvre, finit par être aussi le point où se sont donné rendez-vous toutes les exagérations, toutes les inexpériences, tous les défauts de ce Raoul et de cette Valentine.

Le Théâtre-Lyrique continue de tâtonner en espérant toujours trouver sa veine. Au Barbier de Séville, au Val d’Andorre, a succédé l’Iphigénie en Tauride, puis sont venus Rigoletto, le Brasseur de Preston, aujourd’hui voici Don Juan : Rossini, Halévy et Gluck, Verdi, Adolphe Adam et Mozart, tous les goûts, tous les styles ! Rien de mieux, à la condition qu’on s’arrangera de manière à donner à ces divers styles une exécution plus appropriée à leur caractère, à leur couleur, et qu’on sortira de l’a peu près ; car si le public et la critique sont tenus à beaucoup d’indulgence vis-à-vis de ce qui débute et se débrouille, encore faut-il que les choses se coordonnent et que les vagissemens prennent fin. La période d’entrée en matière doit être close, il s’agit maintenant de montrer ce dont on est capable. L’insuffisance des moyens actuels ne saurait être mise en doute, et cette troupe n’a qu’à passer au second plan pour céder l’avant-scène à des sujets dont la personnalité s’affirme davantage. Nous ne demandons pas qu’on inaugure le règne des étoiles, si funeste partout ailleurs et qui fut la vraie ruine de l’administration précédente. Ce que nous voudrions surtout voir fonctionner là, c’est un ensemble militant,