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Mlle Hisson est une Cruvelli manquée ; tout est désordre et soubresauts dans sa façon de dire. À des audaces que la situation n’indiquait nullement vont succéder de fâcheuses défaillances aux momens les plus dramatiques. Cette voix, sur laquelle aux premiers jours on était si fort émerveillé, semblait aussi s’être effacée. Le médium ne porte pas, les notes élevées, mieux sonnantes, mais mal appuyées, tendent toujours à hausser le ton. Dans le grand dire avec Marcel, elle prend un demi-ton trop haut la belle phrase à la Mozart, et partant l’effet reste nul. Ce qui caractérise, je ne dirai pas le talent, mais la façon d’être de Mlle Hisson, c’est une sorte d’incapacité de se modérer : excès de voix, de gestes, de prononciation, dans les nasales surtout. Elle force les traits, souligne les mots. On dit : il faut quelle travaille. Oui, certes, mais il faut d’abord aussi qu’elle se calme. Du reste, aucun souci du personnage, aucune préoccupation de ce que pourrait bien être, en dehors de la ritournelle qu’on débite, ce caractère de Valentine si puissamment conçu, si nuancé, auquel il faut du commencement à la fin appartenir corps et âme, et qui ne se compose pas seulement de deux duos et d’un trio, comme paraît trop le croire Mlle Hisson, qui d’ailleurs ne fait guère en ceci que suivre l’exemple de Mme Marie Sass. Si vous demandiez à Mlle Hisson pourquoi elle, qui jette à tout propos feu et flamme, laisse tant mollir son accentuation dans ce beau récitatif qui précède son duo avec Marcel, elle n’aurait probablement à vous donner d’autre raison que celle-ci : je n’y ai pas pensé, et c’est ce qu’il conviendrait aujourd’hui de reprocher très sérieusement à certains artistes de l’Opéra, aux mieux rentés surtout : ils n’y pensent pas. Il semble que pour eux devant le public tout soit dit quand ils ont, comme Mme Carvalho, enlevé leur cavatine, ou, comme M. Faure, bellement arrondi leur paraphrase. Quand Mme Carvalho arrive à cheval vers la fin du troisième acte, on croirait, à son air d’absolue indifférence, voir figurer une simple comparse, et pourtant ces quelques mesures qu’elle jette négligemment en chantant du coude selon une vieille habitude importée de l’Opéra-Cominque, ces quelques mots qu’elle daigne à peine articuler, n’ayant point à s’y faire applaudir, contiennent toute la grandeur du drame qui va suivre. Supprimez-les, la scène de Raoul et de Valentine au quatrième acte n’a plus de raison d’être. Personne, pas plus le ténor Colin, qui les écoute, que Mme Carvalho, qui les prononce n’a l’air de se douter de l’importance tragique de ces paroles. Raoul apprend que la femme que sur les apparences il a outrageusement repoussée, l’aimant et l’adorant, n’avait en rien démérité de son estime ni de son amour, et cet éclair qui devrait le foudroyer le laisse froid ; il écoute cela sans y penser. Est-ce là, je le demande, prendre son élan vers le fameux duo, point culminant du chef-d’œuvre ? Rien ne saurait empêcher un comédien, petit ou grand, d’être avec suite le personnage qu’il représente et de s’évertuer à « remplir » son rôle : ce mot dit tout. On nous trouvera peut-être bien sévère. Il