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dépossédés, et parle de « poursuivre ces reptiles jusque dans leurs repaires. » Il a de curieuses expressions, ce hardi vainqueur, pour justifier l’espionnage qu’il étend partout. « Là où la pourriture s’est mise, dit-il, foisonne une vie que l’on ne peut guère saisir avec des gants glacés. » Si des démagogues parlaient de cette manière à propos des royautés déchues, on trouverait qu’ils ne sont pas de trop bon goût, et qu’effectivement ils ont oublié de mettre « des gants glacés. » Que l’un des chefs du radicalisme prussien, M. Waldeck, dans un langage beaucoup plus modéré d’ailleurs, approuve le séquestre justement parce qu’il y voit un acte révolutionnaire, ce n’est pas surprenant encore. Il est un peu plus singulier que ce soit le premier ministre d’un roi de droit divin qui agisse ainsi, et qui offre de ces modèles de langage. De nos jours, ce sont les gouvernemens quelquefois qui instruisent les révolutionnaires, qui leur enseignent comment il faut agir, comment il faut parler, et les révolutionnaires pourraient en faire autant, ils auraient de la peine à faire mieux.

Les cortès constituantes viennent enfin d’être inaugurées à Madrid, et elles ont pu se réunir sans autre accident que quelques coups de fusil de réjouissance qui n’ont pas laissé de blesser plusieurs personnes. Au moment où l’assemblée espagnole s’est trouvée réunie, deux questions certes des plus graves, quoique préliminaires encore, se présentaient naturellement. La première, c’était le choix d’un président. Le candidat le plus désigné semblait être M. Olozega, qu’on avait fait venir de Paris ; mais soit que M. Olozaga, par son attitude assez indécise, ait perdu de son influence, soit qu’il ait préféré revenir à Paris, il s’est effacé complètement. L’heureux élu a été M. Rivero, le chef du parti démocratique rallié à la monarchie, homme d’esprit et d’habileté, accoutumé d’ailleurs aux discussions des assemblées, où il figure depuis longtemps. Une question bien plus sérieuse encore, c’est la formation d’un gouvernement. Fera-t-on un directoire, un triumvirat ? Se bornera-t-on à maintenir à peu près le gouvernement actuel avec quelques modifications ministérielles ? C’est sur ce terrain que s’agitent aujourd’hui tous les antagonismes, et de guerre lasse il ne serait pas impossible qu’on ne finît par établir une sorte de commission de gouvernement où resteraient les chefs primitifs de la révolution, le général Serrano, le général Prim, l’amiral Topete, et sous la direction de laquelle s’organiserait un nouveau ministère. Et cela fait, la grande question restera encore ; mais celle-là, l’assemblée de Madrid ne semble pas pressée de l’aborder, et c’est pourtant celle d’où dépend l’avenir libéral de l’Espagne.

CH. DE MAZADE.