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coup d’œil jeté sur l’Europe, sur l’Orient. En Europe, il y a la volonté manifeste de prolonger autant que possible la durée de la paix. En Orient même, on ne peut se dissimuler que la situation s’est modifiée depuis quelque temps. Que dans les diverses régions orientales, dans la Roumanie, dans la Bulgarie, en Serbie, tout se soit disposé à une certaine heure pour engager la lutte, cela n’est pas douteux. On ne peut plus ignorer que M. Bratiano, quand il était premier ministre à Bucharest, se précipitait, vers la guerre avec une sorte d’impatience aveugle, et il était si engagé dans cette voie qu’il ne savait plus comment revenir sur ses pas, qu’il eût été infailliblement entraîné à quelque tentative extrême. C’est alors que la Prusse, sur laquelle il se croyait quelque droit de compter, l’arrêtait subitement, et le laissait tomber du ministère ou provoquait sa chute. Depuis ce moment, M. Bratiano n’a cessé d’entretenir l’agitation, il le pouvait d’autant mieux qu’il, avait la majorité dans les chambres. Tout a un peu changé cependant. Le ministère Ghika, qui a succédé à M. Bratiano, s’est maintenu ; il a redressé la politique roumaine en lui donnant une direction plus pacifique, et à la suite de quelques incidens où le rappel de la mission militaire française à Bucharest a joué un certain rôle, le ministère roumain vient d’être autorisé par le prince Charles à dissoudre la chambre. Les influences pacifiques ont retrouvé de l’empire en Roumanie. On ne pouvait méconnaître la force de ces circonstances à Athènes. On ne pouvait se lancer sans réflexion dans une lutte que l’Europe voyait d’un mauvais œil, où la Grèce n’aurait pas trouvé peut-être tous les alliés sur lesquels elle aurait pu compter dans d’autres momens. La paix est sortie de cette situation. La crise a été traversée pour aujourd’hui, et la conférence peut enregistrer son succès ; mais il ne faut pas oublier aussi que cette crise n’est nullement accidentelle, qu’elle tient surtout à l’état informe où la Grèce a été placée, où elle ne peut vivre, et que l’Europe, responsable jusqu’à un certain point de cet état, ne s’en tirera pas toujours à si peu de frais.

Ce qui arrivera un jour ou l’autre de ces querelles d’Orient incessamment renouvelées, on ne peut certes le dire. Elles vont s’apaiser encore une fois pour un moment par la toute-puissance d’une bénigne médiation de la diplomatie occidentale. En attendant, et pour nous aider à ne pas trop nous endormir, voici qu’un autre bruit de tempête nous arrive d’Allemagne. La tempête, il est vrai, n’a rien de directement menaçant pour la paix de l’Europe, et peut-être n’est-elle pas même bien sérieuse, quoique le chef d’équipage ait donné le signal d’alarme ; elle n’est pas moins un singulier, symptôme. Pour parler plus clairement, de vives et retentissantes discussions viennent d’avoir lieu dans les chambres prussiennes, et elles ont été pour M. de Bismarck l’occasion d’une de ces sorties audacieuses comme il s’en permet quand il sent le besoin