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telle administrative, et de là viennent justement ces embarras intimes que M. Rouher avait de la peine l’autre jour à voiler de tout l’éclat de sa parole. C’est la lutte entre ce qui reste d’un régime d’omnipotence qui, en se modifiant par sa propre initiative, hésite encore, se défend sur certains points, et les exigences croissantes de l’opinion. C’est là ce qui apparaissait à travers les réticences, les aveux, les échappées de la dernière discussion du sénat, et c’est ce qui rend cette séance curieuse entre toutes.

Sait-on un exemple frappant, éloquent, de cette lutte intime entre l’esprit de la première période de l’empire et les nécessités croissantes d’une situation nouvelle ? C’est ce qui arrive de l’administration de la ville de Paris, de cette administration qui, somme toute, est aujourd’hui en liquidation devant le corps législatif. M. Haussmann, c’est un type de l’omnipotence s’appliquant au gouvernement d’une ville, s’exerçant dans une sphère qui égale celle de certains états en Europe. M. le préfet de la Seine est peut-être le seul administrateur pour lequel il n’y ait point eu d’obstacles. La cour des comptes lui a fait quelquefois des observations, il ne les a pas écoutées. Son conseil municipal, composé d’hommes fort honorables assurément, nommé d’ailleurs sur ses propositions, était trop bien élevé et trop convaincu de la grandeur de ses desseins pour rien refuser à sa féconde activité. M. Haussmann est allé droit son chemin, démolissant et reconstruisant Paris, ouvrant des boulevards et des rues, abattant des montagnes, préparant la création de nouveaux cimetières, faisant en un mot sa ville à lui, sans s’inquiéter beaucoup des Parisiens, race nomade et frondeuse, toujours prête à quereller le pouvoir, sauf à se résigner aux merveilles qu’on lui destine ; mais, pour accomplir de si grandioses entreprises, il fallait des ressources, et ces ressources, M. le préfet de la Seine se les est procurées tantôt d’une façon naturelle par des emprunts légalement autorisés, tantôt par des moyens ingénieux d’une étrange élasticité. Il a épuisé toutes les combinaisons, il a fait argent de tout, du présent et de l’avenir, de ce qu’il avait et de ce qu’il n’avait pas. Tant qu’on n’y regardait pas de près, tout allait bien encore. Le jour est arrivé cependant où l’opinion, devenue plus susceptible, s’est mise à interroger ces vastes opérations par lesquelles on l’émerveillait, à scruter les moyens par lesquels tant de choses étaient accomplies, et ce jour-là il a fallu s’arrêter, il a fallu liquider : résultat final, plus de 460 millions de déficit, dont 398 millions obtenus du Crédit foncier et constituant une dette que le corps législatif, saisi déjà l’an dernier de la question, est appelé aujourd’hui à régulariser par un vote un peu tardif.

Est-ce un emprunt déguisé qu’a fait réellement M. le préfet de la Seine sans demander l’autorisation qui lui aurait été nécessaire ? Était-ce au contraire un prélèvement légitime et anticipé sur les ressources