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se serait hasardé à mettre en cause la loi sur la presse, puisque l’empereur, dans son discours d’inauguration des chambres, a trouvé que tout était bien ; mais de cette situation même, acceptée telle qu’elle est, avec ses inconvéniens et ses avantages, naissait une question bien autrement grave, bien autrement délicate. La loi sur la presse avait conduit tout droit, sans qu’on s’en doutât, à un problème de l’ordre constitutionnel touchant à l’organisation même des pouvoirs publics. Nous ne dissimulons pas qu’arrivés à ce point nos sénateurs se sont trouvés surpris et même un peu embarrassés de leur audace, en se souvenant qu’ils étaient eux-mêmes les gardiens de la constitution. M. Troplong n’a pas négligé les efforts pour arrêter aux passage ces témérités de jeunesse ; mais le mal était plus qu’à moitié fait, et on est allé jusqu’au haut, sans que la société, au surplus, en ait été autrement bouleversée.

Cette dernière discussion est bien certainement en effet une des plus curieuses, une des plus naïvement hardies qu’il y ait eu dans le sénat actuel depuis qu’il existe. Si on s’arrêtait uniquement à ce qui a été dit sur La presse, un des discours les plus remarquables serait sans nul doute celui d’un nouveau sénateur. M. le comte de Sartiges, qui, accoutumé par ses fonctions diplomatiques à vivre dans des pays libres, a puisé dans son expérience cette idée, que la liberté la plus étendue de discussion n’offre pas tous les périls qu’on redoute, que les journaux les plus extrêmes en viennent bien vite à s’user par leurs excès, que ce sont les persécutions qui font le plus souvent leur puissance ; mais il faut aller droit au fond même de ce débat, à la moralité même telle que l’a dégagée M. de Maupas, le promoteur des dernières interpellations. La vérité est que, selon M. de Maupas, un des coopérateurs du 2 décembre, la situation nouvelle créée par les lois sur la presse et les réunions suppose un complément inévitable. La responsabilité, ministérielle devient désormais une invincible nécessité, ne fût-ce que pour couvrir le souverain contre l’abus de toutes les libertés qui peuvent se déployer aujourd’hui sans avoir à demander le passeport du pouvoir discrétionnaire. Il faut abriter au plus vite la responsabilité du chef de l’état en lui donnant pour bouclier toutes les autres responsabilités. C’est une idée émise, il y a quelques années déjà, par M. de Persigny, le doctrinaire de l’empire, lorsque les discussions commençaient à s’animer. M. de Maupas l’a reprise pour son compte, et l’a soutenue l’autre jour avec la verve d’un autoritaire à demi converti. Comment s’est-il converti ? comment l’impatient sénateur qui l’an dernier encore s’attachait au palladium de l’omnipotence administrative, et se montrait un des adversaires les plus résolus de la loi sur la presse, en vient-il aujourd’hui à doubler le pas dans la voie libérale, à placer le gouvernement sous le coup de cette logique qui le pousse l’épée dans les reins vers une des conditions les plus essentielles du régime parlementaire ? Cela importe peu. Que ce soit