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obvier à ces inconvéniens et pour aider le feu de l’île aux Chèvres, Du Guay-Trouin depuis deux jours avait fait mouiller les vaisseaux le Mars et le Diamant entre cette île et la terre. Il eut alors une idée ingénieuse. Cinq navires marchands portugais étaient ancrés près de la ville ; il résolut de s’en emparer pendant la nuit, d’en faire un entrepôt pour ses troupes de débarquement et de les lancer en bloc le lendemain matin contre les Bénédictins. L’assaut se trouvait ainsi différé d’une nuit ; mais cela importait peu, si le succès en était mieux assuré.

En conséquence Du Guay-Trouin fit cesser le feu le 20 au soir. Il n’y avait plus qu’une chose à craindre : c’était que les Portugais n’entravassent l’opération. Pendant toute la journée, qui avait été lourde et d’une accablante chaleur, un orage avait menacé, et il était possible qu’il éclatât durant la nuit. Dans cette prévision, Du Guay-Trouin, craignant qu’à la lueur des éclairs les Portugais n’aperçussent ses chaloupes et ne tirassent dessus, avait fait pointer de jour tous ses canons, et le feu ne devait commencer que lorsque lui-même, de la batterie où il serait placé, en donnerait le signal. Il ne s’était pas trompé. Pendant la nuit, l’orage éclata dans toute sa violence. ; les Portugais aperçurent les chaloupes et tirèrent. Dès alors l’artillerie de Du Guay-Trouin gronda sur toute la ligne, et d’abord on lui répondit de la ville avec acharnement. Peu à peu cependant, tandis que le feu des Français continuait. aussi nourri qu’au début, celui des assiégés allait en se ralentissant. Aux premières lueurs du jour, il avait entièrement cessé. Du Guay-Trouin se disposait à l’assaut, les troupes étaient prêtes, elles allaient marcher, quand M. de La Salle, lieutenant de Du Clerc et fait prisonnier en même temps que lui, sortit en courant des retranchemens ennemis, et vint dire à Du Guay-Trouin que Rio-Janeiro était abandonné. Cette nuit terrible, où les roulemens du tonnerre s’étaient mêlés aux fracas de l’artillerie, avait porté ses fruits. — Les noirs avaient déserté ; les Portugais, découragés, avaient quitté leurs batteries ; la population, épouvantée, s’attendant au point du jour à toutes les horreurs de l’assaut, s’était enfuie avec ses effets les plus précieux. Il ne restait plus à Du Guay-Trouin qu’à prendre paisiblement possession de sa conquête ; mais les soldats attendaient l’assaut depuis trente-six heures, ils étaient enivrés par ce combat de nuit, leur imagination échauffée ne rêvait depuis deux jours que le pillage. Quand ils entrèrent dans les rues désertes de Rio-Janeiro, ils se débandèrent, et rien ne put les retenir. Guidés par les compagnons de Du Clerc, échappés cette nuit de leurs prisons, et qui avaient de si longues souffrances à venger, ils se livrèrent à tous les excès qui rendaient les flibustiers célèbres. Ils enfoncèrent les portes