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fois prise, devenait pour l’ennemi un pied-à-terre et un point d’appui. C’est ce que Du Guay-Trouin comprit aussitôt. Profitant de l’intimidation qu’avait produite son combat du matin, à peine entré dans la rade, il envoya 500 hommes sous la conduite du chevalier de Goyon pour s’emparer de l’île aux Chèvres. Ces braves gens se mirent à l’eau jusqu’à la ceinture pour débarquer plus vite, et aux cris de vive le roi culbutèrent les Portugais avec tant de rapidité que ceux-ci n’eurent même pas le temps d’enclouer leurs canons. Ils se jetèrent dans des barques et gagnèrent Rio-Janeiro, où, dans leur effroi, ils coulèrent sous le fort de la Miséricorde plusieurs navires marchands, et firent sauter leurs trois vaisseaux de guerre. Du Guay-Trouin, utilisant sans retard la position qu’il avait conquise, ordonna à MM. de La Ruffinière, de Kerguelen et Éliau d’y établir des batteries de canons et de mortiers. Il les fit soutenir en même temps par un nombreux corps de troupes que commandait le marquis de Saint-Simon, lieutenant de vaisseau.

L’attaque par mer était assurée ; il fallait maintenant investir la ville par terre. Le 14 septembre, 1,500 hommes débarquèrent sous la protection des frégates l’Amazone, l’Aigle, l’Astrée et la Concorde hors de portée du canon de la montagne des Bénédictins. Le débarquement se fit sans obstacle. Du Guay-Trouin partagea immédiatement sa petite armée en trois brigades de trois bataillons chacune. Il garda pour lui, avec M. de Beauve sous ses ordres, une de ces brigades, à laquelle il adjoignit une compagnie de 60 caporaux choisis dans toute la troupe et un certain nombre de gardes de la marine et de volontaires se recrutant chaque jour parmi les plus braves. Il donna les deux autres brigades à MM. de Goyon et de Courserac. Il débarqua aussi 4 petits mortiers portatifs et 20 gros pierriers de fonte pour s’en faire une artillerie de campagne. La brigade de M. de Courserac s’établit sur une hauteur qui regarde la ville, et M. de Goyon un peu plus loin ; Du Guay-Trouin se plaça entre les deux. Il formait ainsi un demi-cercle autour de Rio-Janeiro, et gardait ses communications avec la mer et ses vaisseaux. Il eût désiré s’étendre plus loin, mais il dut y renoncer, quelques troupes qu’il avait envoyées à la poursuite des Portugais ayant été arrêtées court par les marais et les broussailles. Après avoir installé son camp, il traça ses parallèles avec activité. Les soldats étaient remplis d’ardeur et de gaîté. Sous ce riant climat, abondant en fruits et en rafraîchissemens de toute espèce, ils se remettaient des fatigues de la traversée. En quelques jours, 500 scorbutiques avaient recouvré leurs forces. Ils avaient d’ailleurs un grand mépris pour les nègres et les Portugais, qui ne les attaquaient point. Ceux-ci au contraire sentaient l’hésitation et le découragement les