Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/1003

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Guay-Trouin faisait des démarches auprès du comte de Toulouse. Pontchartrain par prédilection pour ce genre de guerre, le grand-amiral par l’estime où il tenait Du Guay-Trouin, mais tous deux surtout par l’espérance du gain, s’intéressèrent dans l’entreprise et en parlèrent au roi, qui consentit à prêter ses troupes et ses vaisseaux.

Il fallait agir secrètement pour ne point éveiller l’attention des ennemis par de grands préparatifs. Aussi Du Guay-Trouin partagea-t-il l’armement entre différens ports. La plus grande partie cependant s’en fit à Brest. Il y équipa le Lys et le Magnanime, de 74 canons, le Brillant, l’Achille et le Glorieux, de 66, la frégate l’Argonaute, de 46, l’Amazone et la Bellone, de 36, — la Bellone disposée en galiote avec deux gros mortiers, — l’Astrée, de 22, et la Concorde, de 20. Les commandans étaient le chevalier de Goyon, le chevalier de Courserac, le chevalier de Beauve, M. de La Jaille, le chevalier Du Bois de La Motte, MM. de Kerguelen, de Chenais, Le Jer, de Royon et de Pradel. Ces trois derniers, par une autre singularité, se trouvaient être parens des principaux directeurs de l’armement. À Rochefort, M. de La Moinerie-Miniac arma le Fidèle, de 60 canons, sous le prétexte d’une course ordinaire, et M. de La Marc-Danican l’Aigle, frégate de 40, pour les îles de l’Amérique. Deux galiotes avec deux mortiers chacune se préparèrent sous main à La Rochelle. A Dunkerque, M. de La Cité-Danican arma pour le nord le vaisseau de 56 canons le Mars, Deux bâtimens enfin, le Chancelier, de 44, monté par M. Danicau du Rochet, et la Glorieuse, de 30, par M. de La Perche, furent préparés à Saint-Malo.

Ces divers armemens étaient presque terminés au bout de deux mois, quand Du Guay-Trouin apprit qu’une flotte anglaise de 20 vaisseaux allait venir le bloquer à Brest. Il partit immédiatement pour La Rochelle, qu’il avait donnée comme point de rassemblement à sa flotte, et l’y rallia. Deux jours après son départ de Brest, la flotte anglaise avait effectivement paru. Dès que Du Guay-Trouin eut ses bâtimens, il fit voile pour l’Amérique. Il relâcha un jour aux îles du Cap-Vert, à Saint-Laurent, où il prit de l’eau, et détermina pour chacun, dans un simulacre de débarquement, la place qu’il aurait à tenir. Le 11 août 1711, il passait la ligne, et le 11 septembre s’estimait sur les côtes du Brésil. L’on jeta la sonde et l’on trouva fond, mais l’on n’apercevait point la terre. Malgré les approches de la nuit, qu’une brume très épaisse rendait encore plus obscure, Du Guay-Trouin profita de la brise qui fraîchissait pour continuer résolument sa route. Il regardait comme de la plus grande importance pour forcer le goulet d’y arriver à l’improviste. Le lendemain, il était à l’entrée ; mais, à sa grande surprise, loin de saisir l’ennemi