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il réunit ses capitaines. — « Ç’a été, dit-il dans ses Mémoires, la première fois de ma vie, et ce fut la dernière. » On lui donna précisément l’avis qu’il redoutait. Ses officiers et ses équipages, qui faisaient la guerre pour s’enrichir, ne se souciaient pas, en combattant les Portugais, d’échanger de l’or contre du plomb. D’ailleurs, lui disait-on, si la flotte du Brésil ne venait pas, il serait toujours temps d’aller se dédommager sur la flotte de guerre. C’était là ce dont doutait Du Guay-Trouin ; il n’avait pas tort. En effet, quand au bout de quelques jours, qui lui parurent des siècles, il eut mis à la voile et fut arrivé devant les Açores, l’ennemi avait disparu. Afin d’avoir quelques éclaircissemens et de se ravitailler, Du Guay-Trouin, ayant passé entre les îles de Vigo et de Saint-George, choisit cette dernière pour y faire une descente. Il envoya ses canots opérer une fausse attaque du côté de la ville pendant que le comte d’Arguien, son capitaine en second, débarquait heureusement avec 500 hommes et les chaloupes. Il fut bientôt maître de Saint-George, où on lui apprit que les Portugais étaient partis, mais que la flotte du Brésil n’était point encore passée.

Bien que ce retard fût étrange, Du Guay-Trouin résolut de retourner à sa croisière. Il pressait avec la plus grande activité l’embarquement des futailles qu’il avait fait remplir d’eau, lorsqu’une tempête se déclara. Il fallut appareiller à la hâte sans avoir le temps de s’approvisionner. Du Guay-Trouin, désespéré, mais n’abandonnant point son projet, signala Vigo à l’escadre comme point de ralliement, comptant y prendre l’eau nécessaire et revenir. Tant de courage, d’activité et de généreuse persévérance ne fut point couronné de succès. Les vaisseaux de l’escadre, battus de la tempête et pressés par la soif, allèrent atterrir où ils purent ; Du Guay-Trouin, avec le Lys, arriva seul à Vigo. Ce fut pour y apprendre l’entier renversement de ses espérances. La flotte du Brésil avait mouillé à Lisbonne et dans les ports voisins. Cet armement inutile avait causé de grandes pertes aux armateurs et compromis la propre fortune de Du Guay-Trouin et celle de son frère.


III

Ainsi, bien que conduites par Forbin et Du Guay-Trouin, les deux dernières expéditions que l’on eût tentées sur une grande échelle avaient échoué. La marine de course perdait son prestige, et avec son prestige la plus réelle peut-être de ses forces, car, moitié militaire, moitié commerciale, elle ne vivait, ne se recrutait que par le crédit, et ce crédit flottait naturellement au gré de ses succès et de