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à l’abolition de certains privilèges en Irlande. Aujourd’hui ses élégies ne touchent plus personne. Qu’est-elle ? que représente-t-elle dans l’état présent des choses ? En vérité, elle n’en sait rien elle-même : tantôt elle se dit protestante, tantôt catholique, souvent presque romaine. Ce qui faisait sa tradition, son caractère, sa raison d’être, elle l’a méconnu ou abandonné. Au lieu d’une croyance fondée sur le droit d’examen, les Anglais n’ont plus vu en elle qu’un groupe d’intérêts temporels étroitement soudés au trône et à l’aristocratie. Ses vrais ennemis sont ceux qui comme le dean de Carlisle ont l’imprudence de déclarer qu’un peuple sans église d’état est une nation sans Dieu. L’intervention active, tantôt obséquieuse et tantôt menaçante du clergé dans une dispute où il ne s’agit après tout que d’une question de dîmes et de bénéfices ne l’a certainement point relevé aux yeux des populations éclairées. Sa résistance au sentiment national a été punie par une accablante défaite. Si une religion est sortie victorieuse de la lutte électorale, c’est bien le protestantisme, non le protestantisme bâtard de l’église anglicane, flottant entre le pape et Luther, mais la vraie réformation appuyée sur la liberté de conscience. Ce sont les dissidens qui partout ont assuré le triomphe du parti libéral. Les puritains sont encore là ; on les a vus à l’œuvre. N’ayant rien livré, rien abandonné de leurs principes, les sectes religieuses avaient le > droit de donner aux autres la liberté qu’elles réclament pour elles-mêmes. Comme tout ce qui est vraiment fort, elles ont le courage d’être justes. C’est en effet au cri de justice for Ireland que les descendans de Wesley, de Robert Brown, de George Fox, mêlés aux libéraux, ont marché vers le poll. La vieille Écosse s’est levée et a voté comme un seul homme. Un tel spectacle est grand ; l’exemple de tolérance donné par ces austères presbytériens qu’on a longtemps considérés comme les apôtres du fanatisme protestant mérite certes bien d’être signalé. Quelques membres non-conformistes bien connus pour leur attachement à l’une des nombreuses sectes qui se divisent l’Angleterre ont figuré comme candidats, et ont emporté les suffrages des électeurs. M. Morley a été nommé à Bristol, M. Charles Reed à Hackney, M. Henry Richard à Merthyr-Tidvil. D’un autre côté, l’aveugle résistance du clergé à une mesure partielle et modérée a suscité de la part de ses adversaires de bien autres prétentions. Ce n’est plus seulement le disestablishment de l’église protestante en Irlande, c’est l’église libre dans l’état libre qui a été hautement réclamée dans quelques meetings. Cette seconde proposition ne rallie pourtant, je dois le dire, qu’un petit nombre d’esprits aventureux. Nos voisins sont d’avis qu’en fait de réformes politiques à chaque jour suffit sa peine, et ils tiennent à régler les affaires d’Irlande