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que des discours, c’étaient des programmes de gouvernement. Démosthène parlait, dit-on, contre la mer, le beau miracle ! A Liverpool, Gladstone a parlé contre le peuple des hustings, et tout cela vainement ; les meilleures raisons revêtues du plus beau langage sont venues expirer devant l’impassible et savante organisation des conservateurs. Après tout, y a-t-il lieu de s’étonner dans ce cas de l’issue de la lutte ? Il faut laisser à la rhétorique le thème de la vérité toujours victorieuse. Que l’idée puisse être battue par l’argent, c’est un fait trop certain et trop démontré pour qu’on hésite à le reconnaître. Pas plus en Angleterre qu’ailleurs, le zèle et l’enthousiasme n’ont encore trouvé le moyen de lutter toujours avec avantage contre les influences matérielles. On assure que lord Derby a dépensé 20,000 liv. sterl. pour empêcher l’élection de M. Gladstone. Durant la semaine qui précéda l’ouverture du poll dans toute la Grande-Bretagne, 26 millions de francs avaient été retirés de la Banque.

Ce qui doit plutôt étonner, c’est que le parti libéral ait trouvé de son côté assez de ressources pour tenir tête à ses adversaires et les vaincre. L’argent est le fléau des élections anglaises ; mais, on regrette aussi de voir les calomnies, les invectives personnelles, les diatribes lancées contre les candidats les plus éminens. Les mêmes hommes qui à Londres accusaient M. Stuart Mill d’athéisme allaient répandant le bruit dans les campagnes que M. Gladstone était catholique. L’échec des tories peut se réparer ; ce qui ne s’effacera point aisément est le souvenir des placards odieux dont ont été salis dans les dernières élections les murs de Westminster et les cabarets du sud-ouest du Lancashire. Ce parti a changé deux fois de nom dans un demi-siècle : de tory, il s’est appelé conservateur, et maintenant il s’intitule lui-même constitutionnel. On peut douter que ces métamorphoses de mots aient beaucoup avancé ses affaires. Tout le monde en Angleterre se rallie au pacte fondamental ; seulement aux yeux des anciens tories la constitution est une tour carrée, immuable, dans laquelle ils se retirent pour résister aux attaques du progrès, tandis qu’au point de vue des libéraux la constitution est un corps vivant, qui doit subir la pression des idées, prendre la forme du siècle et marcher avec la société qui marche.

Celui qui a le plus souffert dansées dernières élections est sans contredit le clergé anglais : il a compromis sa dignité sans conquérir aucune influence politique. Ce résultat était facile à prévoir ; il avait livré d’avance les positions qui seules pouvaient le défendre contre le projet de M. Gladstone. Si l’église établie eût été l’église d’il y a un demi-siècle, fermement attachée aux idées et aux souvenirs de la réformation, elle eût pu du moins justifier sa résistance