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M. Stuart Mill avait la veille du scrutin défendu sa candidature se dressaient sur Trafalgar Square en face de la statue de Nelson. Cette circonstance donna lieu à un rapprochement qui fut saisi par plus d’un Anglais. La bataille électorale était gagnée ; mais celui que cherchaient alors tous les regards manquait à la victoire[1].

Le parti libéral essuya successivement quelques autres pertes, et MM. Osborne, Milner Gibson, Lionel de Rothschild, Gazeley, Austin Bruce, échouèrent, soit devant un tory, soit devant un autre candidat de leur propre couleur. Quant à M. Roebuck, personne ne le prend en Angleterre pour un chef malheureux du parti radical ; c’est un transfuge puni. Qu’il ait autrefois rendu de grands services à la cause du progrès, il serait injuste de le contester. Tout le monde lui reconnaît aussi des qualités d’esprit assez brillantes et un vif talent d’orateur, défigurés malheureusement par une certaine aspérité de caractère et une immense vanité. Ce que lui reprochent surtout les ouvriers de Sheffield, ce sont ses changemens d’opinion. M. Roebuck s’était d’abord montré un ardent adversaire du système inauguré en France le 2 décembre. Plus tard, à la suite d’un voyage à Paris, ses impressions parurent singulièrement modifiées. Qu’avait-il observé par ses yeux qui pût ébranler un premier jugement ? Était-ce la vue des libertés dont jouissent les Français, le droit de réunion respecté, la presse indépendante, les élections sincères, la vie privée défendue contre les indiscrétions de la police ? Personne ne le crut en Angleterre. La conversion était trop soudaine pour inspirer de la confiance, et tout le monde pensa que M. Roebuck avait obéi, sinon à des motifs intéressés, du moins aux caprices d’une nature très personnelle qui se laisse aisément gagner par la flatterie. Les

  1. Je demande à copier un extrait d’une lettre que m’adressait dernièrement M. Stuart Mill, et où il explique à son point de vue les causes de son insuccès. L’auteur des Principes de l’économie politique écrit très bien notre langue, et j’espère que les lecteurs de la Revue en sauront un jour ou l’autre quelque chose.
    « Je crois que les causes de mon insuccès à Westminster se réduisent à trois principales : 1° une grande supériorité d’organisation et d’habileté dans le parti opposé, les opérations dirigées par un homme d’affaires dans son propre intérêt étant ordinairement mieux conduites que celles qui dépendent d’un comité d’amateurs ; 2° une très grande abondance d’argent du côté opposé, tandis que du nôtre il y avait a peine le strict nécessaire ; 3° l’hostilité de presque tous les vestrymen et autres notabilités locales qui sont les chefs ordinaires de l’action politique dans les localités, et à qui j’ai fortement déplu par la proposition que j’ai faite d’une meilleure constitution municipale.
    « Plusieurs autres circonstances sont venues se joindre à celles-là ; mais je crois avoir signalé les seules réellement importantes, et je pense qu’elles suffisaient pour empêcher ma réélection. Du reste, sauf l’échec porté par. ma défaite au parti libéral avancé, qui d’ailleurs a tant souffert dans ces élections-ci, je n’ai rien à regretter. J’espère exercer en faveur de mes opinions une action tout aussi grande et beaucoup plus dans mes goûts comme écrivain que comme député au parlement. »