Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/977

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle d’York en 1807. Elle dura quinze jours, fit crever je ne sais plus combien de centaines de chevaux lancés à bride abattue sur les grandes routes, et dévora un demi-million de livres sterling. Les dépenses de Wilberforce, qui passa le premier de la liste, furent couvertes par une souscription publique ; mais les domaines de lord Milton restèrent grevés d’une charge annuelle de 425,000 fr., tandis que le troisième candidat subit une perte de fortune tout à fait accablante. On ne voit plus aujourd’hui de ces extravagances : 1,000 livres sterling pour les frais d’impression, la même somme pour les public houses, et 2 ou 3,000 livres pour les agens ou courtiers électoraux, tel est à peu près le bilan d’une candidature moderne ; 125,000 francs, c’est déjà bien joli, et l’on ne s’étonnera plus que la chambre des communes ait été appelée par nos voisins un club d’hommes riches[1].

Une pratique fort ancienne que l’on voudrait voir s’effacer des mœurs anglaises est la sollicitation des suffrages (canvassing). Le canvasser est quelquefois le candidat lui-même : il va de maison en maison, flattant la mère de famille, tapant du bout des doigts sur la joue des bambins, et demandant, comme l’a dit Macaulay, des nouvelles de l’enfant qui n’est pas encore né. On comprend à quelles épreuves se trouve soumise en pareil cas la dignité du futur représentant de la nation. Dans les grandes villes et dans les comtés populeux, les mêmes démarches s’exercent par des intermédiaires. Dès les premiers jours s’est formé dans chaque circonscription un comité central qui se ramifie en autant de sous-comités qu’il y a de divisions ou de paroisses. Dans tous ces foyers d’action, on réunit un groupe d’hommes fidèles à la cause, et l’on fait appel à leur zèle, à leur dévoûment. Chacun d’eux choisit le cercle qu’il doit parcourir et s’engage à visiter les électeurs de telle rue ou de tel quartier. Le canvasser volontaire est quelquefois le premier venu ; le plus souvent néanmoins c’est un habitant de l’endroit exerçant quelque influence sur son voisinage. S’il se présente bien et qu’il ait un peu le don de la parole, son concours n’est naturellement que plus recherché. Comme il lui répugne de s’introduire seul dans les maisons, on lui adjoint d’ordinaire un camarade. Ils s’en vont ainsi deux à deux, de porte en porte, et quêtent des promesses pour le candidat de leur choix. Ne pourrait-on aussi ranger dans la classe des canvassers libres et spontanés les ladies qui, sous prétexte de distribuer des aumônes ou des petits livres religieux (tracts), trouvent moyen d’insinuer un mot de politique et de recommander

  1. Tous les frais de l’élection doivent être payés, d’après le texte de la loi, dans les trente jours qui suivent la promulgation du scrutin.