Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/976

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distribuent à leurs amis des cartes d’entrée et tiennent en quelque sorte des séances à huis clos. Frappé des inconvéniens de ces réunions où l’orateur ne prêche guère que des convertis, M. Stuart Mill, avec sa hardiesse ordinaire, avait proposé dans les dernières élections de rencontrer face à face son antagoniste, M. Smith. Le défi ne fut point relevé ; on savait trop à quel adversaire armé de logique et de sang-froid aurait affaire le parti conservateur. Il n’en est pas moins à désirer que l’usage de réunions publiques où se fassent entendre les candidats de l’une et l’autre opinion s’introduise dans la Grande-Bretagne. Autrement les succès de meetings donnent lieu à d’étranges illusions, et ne modifient que dans une limite assez restreinte les sentimens des électeurs.

Il n’y a pas très longtemps que, pour faire partie de la chambre des communes, il fallait justifier d’un revenu de 300 livres sterling (7,500 francs) par an. Cette disposition a été rayée de la loi ; mais le candidat doit être niche, c’est une nécessité, maintenue par la force même des choses. Il lui faut d’abord payer les frais de construction des hustings et les honoraires des officiers qui président aux élections. Les hustings, ces laides maisons de bois, sont une invention moderne ; elles remplacent le vieux chêne du squire, autour duquel se réunissaient autrefois les Anglais pour exprimer leur volonté en levant la main. Comment il se fait que de tels tréteaux coûtent chacun 100 livres sterling (2,500 francs), c’est ce que je n’ai jamais bien compris : les charpentiers profitent sans doute de la circonstance. Dans quelques grands bourgs et dans les comtés, où il faut un grand nombre de ces baraques pour recevoir les votes, la dépense totale ne s’élève guère à moins de 1,000 livres sterling, (25,000 francs). Durant la dernière session, un membre du parlement, M. Fawcett, avait proposé de mettre ces frais à la charge des constituencies. Appuyé d’abord d’une assez forte majorité, le projet, deux fois repoussé par le ministère, deux fois voté par la chambre, échoua malheureusement à une troisième lecture. Ces déboursés, connus sous le nom de returning expenses, ne sont d’ailleurs qu’un grain de sable, comparés à l’énormité des autres dépenses. Durant les deux ou trois mois qui précèdent les élections, les presses gémissent jour et nuit dans les imprimeries ; les facteurs, chargés d’une masse de circulaires et de professions de foi à l’adresse de chaque électeur, parcourent les rues des villes, les cantons, tout le royaume. Ce que gagne alors l’administration des postes est formidable. Les Anglais se consolent en songeant qu’autrefois une candidature était un luxe de grand seigneur bien autrement ruineux. L’une des anciennes élections qui ont coûté le plus cher et qui est restée célèbre dans les annales de la brigue est