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représentatif qui ne représente qu’une chose, l’action du pouvoir sur les électeurs, répugnerait aussi bien à la fierté des tories qu’à la bonne foi des classes ouvrières ou agricoles. D’un autre côté, le ministre, quel qu’il soit, se trouve enfermé dans les dispositions très claires de la loi. Ce n’est point en Angleterre qu’un fonctionnaire quelconque de l’état oserait porter la main sur les circonscriptions électorales. Certains cadres ont été remaniés, il est vrai, en 1867, mais par l’autorité des chambres et avec le consentement du pays. Ces changemens s’appuyaient sur les vœux de l’opinion publique et non sur le bon plaisir de l’administration. Les limites géographiques tracées par l’usage ou par la volonté du parlement sont sacrées ; elles font partie du système qui assure aux Anglais l’intégrité de la représentation nationale.

Le choix des candidatures est entièrement abandonné à la direction des partis. Les Anglais sont d’ailleurs bien loin d’avoir atteint sous ce rapport la science de leurs frères d’Amérique. Aux États-Unis, les collèges électoraux choisissent leurs candidats ; dans la Grande-Bretagne, ce sont au contraire les candidats qui très souvent choisissent leurs électeurs. Qui ne devine que ce dernier système donne lieu dans plus d’un cas à une étrange confusion ? A peine le sort du dernier-parlement fut-il décidé que les ambitions se précipitèrent comme une nuée de sauterelles sur ce qu’on appelle en Angleterre les constituencies. Il existe bien deux centres d’influence qui président de part et d’autre à la distribution des candidatures, — le Reform club et le Carlton club. Le premier est le quartier-général des libéraux, le second est le cénacle des conservateurs. Les tories, ce n’est un secret pour personne, s’entendent beaucoup mieux que leurs adversaires à organiser les élections. Sous certains rapports, leur tâche est aussi plus facile : ils n’ont point à lutter contre l’affluence des noms. Souvent même les hommes leur manquent, on s’en est bien aperçu dans la dernière campagne, et l’embarras consiste plutôt de leur côté à désigner des successeurs aux sièges vacans qu’à écarter les compétiteurs malencontreux[1]. Il n’en est point du tout de même dans l’autre camp. Dès les premiers jours, on s’aperçut que le parti libéral souffrait « d’une pléthore de candidats. » Cette maladie peut indiquer la force et la virilité des partis, elle n’en est pas moins très dangereuse. On comptait dans les trois royaumes, l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande, 56 collèges où des libéraux luttaient contre des libéraux. Le danger était que plus d’un tory ne se glissât entre ces divisions.

  1. Il y avait aux dernières élections 618 candidats libéraux contre 443 candidats conservateurs.