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C’était un pouvoir sans base, flottant un peu au hasard, ne se soutenant au jour le jour que par des concessions. D’éphémères victoires attestaient bien l’habileté du chef, mais sans masquer la faiblesse du corps d’armée. Si telle était dans les chambres ’ la position du ministère, combien elle apparaissait encore plus chancelante en présence de la nation anglaise !

M. Disraeli, tout en arrachant aux siens une mesure populaire, n’avait conquis ni pour son parti ni pour lui-même la popularité. Le reform act, quoique très libéral au fond, était bien loin de désarmer la défiance des masses envers une administration de conservateurs. M. Gladstone au contraire, en perdant le pouvoir, avait gagné le pays. Un instant obscurci dans le monde officiel par le nuage dont la défection et l’insuccès couvrent les hommes d’état, il avait d’un autre côté étendu son influence sur les esprits militans. Son nom était devenu un drapeau qu’agitaient dans tous les meetings les orateurs de la classe moyenne, et autour duquel les ouvriers se rangeaient avec enthousiasme. Chef de l’opposition et armé de toutes pièces, que fallait-il pour lui redonner la majorité dans l’enceinte même du parlement ? Une occasion. C’est ce qui manque le moins aux hommes d’état. Le ministère tory croyait avoir doublé le cap des tempêtes en sortant avec bonheur des difficultés de la réforme électorale, et voilà que tout à coup M. Disraeli rencontre devant lui un autre promontoire sur lequel se dressait une question bien autrement formidable, celle de l’église protestante en Irlande. Toute l’expérience du pilote ne pouvait rien cette fois contre l’obstacle. A force de tact, de ménagemens, il avait naguère obtenu de ses partisans le sacrifice d’antiques préjugés ; mais leur demander la séparation de l’église et de l’état, qui pouvait faire un pareil rêve ? Le disestablishment était un défi en règle jeté au chef du cabinet conservateur et il L’accepta, avec cette assurance. Qui le caractérise. Du premier coup d’œil, Je ministère, put néanmoins mesurer l’étendue du danger, qui le menaçait. Quelques transfuges du camp libéral qui étaient passés à l’ennemi dans un moment d’irritation ou de faiblesse se trouvaient chaque jour ramenés vers, M. Gladstone par la force des choses, et la toute-puissance de l’opinion publique. On sait quelle fut l’issue de la lutte, et comment M. Disraeli se vit contraint ou d’abandonner le pouvoir, ou d’en appeler à la nation.

Les élections, générales sont toujours un grand événement dans la vie d’un peuple libre. Chez nos voisins, il s’agit de déterminer pour plusieurs.années le cours de la législation, la nuance et jusqu’à un certain point le personnel du gouvernement. Combien les circonstances prêtaient encore à cet acte d’autorité populaire un