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histoire des compagnons de Kara-George et de Milosch. Contester l’appui moral que la Russie, par le fait seul de son existence, a prêté au premier soulèvement des Serbes, assurément ce serait chose insensée. Fallmerayer l’a déclaré lui-même. « Nous tenons, dit-il, pour une entreprise puérile de prétendre dissimuler le service rendu par la Russie à la révolution serbe. Eh ! sans doute, les Serbes ont fait le coup à eux seuls, d’abord avec audace et violence sous l’impétueux Kara-George, puis sous Milosch avec autant de courage et plus d’esprit de conduite ; mais ce qui donnait de la force à leurs bras, c’était la pensée qu’ils avaient derrière eux un peuple de même sang, de même foi, qui avait enlevé aux Osmanlis le prestige de la victoire. » Il n’y a ici que la reconnaissance d’une vérité incontestable ; ce point mis à part, je n’ai rien vu chez les écrivains cités plus haut qui attestât des dispositions favorables à la politique moscovite. Presque tous au contraire prennent plaisir à signaler le sens pratique, le mélange de souplesse et de fermeté avec lesquels ce petit peuple a su déjouer les intrigues du cabinet de Saint-Pétersbourg, utilisant ou déclinant son appui suivant les occurrences, sans jamais rompre ni s’enchaîner jamais. Cette direction si remarquable de l’esprit public en Serbie ne peut qu’être encouragée par les travaux des publicistes européens. Ce n’est pas au profit des Russes qu’ils s’intéressent aux Serbes. Une idée qu’on a souvent développée ici même commence à se faire jour dans le monde politique, c’est que le meilleur moyen de combattre les prétentions du panslavisme est de prêter une juste attention aux intérêts des chrétiens de l’Orient. Les Hongrois eux-mêmes, il y a vingt ans, n’étaient-ils pas disposés à se donner aux Russes plutôt que de subir le joug des Habsbourg ? Comment s’étonner que des populations slaves, si elles désespéraient de leur avenir, fussent tentées de suivre la même voie ? Nous l’avons dit bien des fois, nous le répéterons encore : venez en aide aux chrétiens de l’Orient, vous brisez aux mains de la Russie Parme la plus redoutable de sa politique. C’est à Belgrade, à Prague, à Agram, aussi bien qu’à Pesth et à Vienne, qu’est la solution des deux questions les plus urgentes, l’apaisement de l’Europe orientale et la juste reconstruction de l’Autriche.

Il appartient donc principalement à l’Autriche nouvelle de se montrer sympathique aux intérêts des chrétiens d’Orient. L’Autriche de M. de Metternich ne songeait qu’à entretenir la division parmi les peuples soumis à la maison de Habsbourg ; on sait quel châtiment a renversé pour jamais cette politique odieuse. Ramenée par des événemens terribles dans la voie de la civilisation, l’Autriche de M. de Beust n’a d’autres moyens de salut que le respect de tous