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1864, Genève avait pu se dire en révolution ; elle est depuis lors en pleine démocratie. M. Fazy devrait être heureux : ses anciens ennemis ont abdiqué, ses idées triomphent aujourd’hui ; seulement elles ne pouvaient triompher que par sa chute. Il était trop homme de parti pour commander les deux camps. Ce n’était pas tout de fonder une nouvelle ville, il fallait encore la relier à l’ancienne et jeter un pont de l’une à l’autre : ce fut, au propre et au figuré, l’œuvre de M. Camperio, l’un des chefs du parti indépendant. Il fallait aussi ramener de l’argent dans les caisses de l’état, qui ressemblaient trop au tonneau des Danaïdes ; ce fut l’œuvre de M. Chenevière, financier intelligent et scrupuleux. Grâce à ces hommes et à leurs collègues, beaucoup d’animosités et de défiances se sont dissipées, les deux Genève ont fait la paix. L’aristocratie a fini par ouvrir ses portes, et tous, même les gens de lettres, ont pu entrer. On s’est alors aperçu, non sans étonnement que la haute ville possédait non-seulement des hommes de science et de dévotion, mais quantité de gens d’esprit, de femmes distinguées, cultivées, s’occupant de leurs enfans et craignant Dieu, mais ne redoutant point les plaisirs permis, la mondanité décente. Elles demeurent sans doute plus obstinément calvinistes, et se font moins facilement démocrates que leurs maris ; mais c’est peut-être un bien dans ce pays libre : sans leur influence, le salon deviendrait trop vite un club. Elles ont de l’autorité dans la famille : autrefois leurs fils en étaient opprimés ou comprimés, ils fuyaient alors la maison ou se repliaient sur eux-mêmes ; mais cette rigueur paraît s’adoucir, et les jeunes gens, un peu débridés, deviennent plus francs et plus ouverts. On dit que les Genevoises sont froides. on ne les connaît pas, elles ne sont que réservées. Elles se défient d’elles-mêmes et des autres ; c’est le principal défaut du pays, défaut très commun dans les cercles restreints où tous se connaissent et se regardent ; mais elles ne manquent pas de cœur : seulement elles mettent leur passion où elles peuvent, dans la politique, dans la religion, quelquefois dans la science, plus souvent dans la charité, qui est leur genre d’amour. Dès l’enfance, elles s’habituent à soulager toutes les misères ; il y en eut plusieurs en 1857 qui s’offrirent pour suivre comme infirmières les milices partant pour le Rhin. Il n’est pas de maison à Genève où l’on ne trouve un atelier de couture pour les pauvres ou une fabrique de charpie pour les blessés : c’est à près de 200,000 francs que s’est élevée, en faveur des inondés du Valais et des Grisons, la souscription des Genevois. Si le peuple français, cinq cents fois plus nombreux que celui du canton de Genève, égalait ce dernier en libéralité, nous aurions envoyé récemment 100 millions en Algérie.