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du panslavisme. Pourquoi ? On le comprend sans peine. La philosophie même du sujet que nous allons traiter est exprimée ici par ces deux voix si différentes ; avec l’historien national de Kara-George et de Milosch, il faut s’intéresser aux efforts de ce peuple héroïque ; avec Fallmerayer, il faut se défier de la politique russe.

Le double souvenir que nous venons d’évoquer offre encore un autre intérêt ; il sert à marquer les progrès accomplis depuis trente ans. Ni la plainte de l’historien serbe ni l’amertume du critique allemand ne seraient justifiées désormais. Déjà en 1838 M. Possart n’était pas tout à fait juste envers l’Allemagne lorsqu’il lui reprochait d’avoir assisté avec indifférence aux événemens de Serbie ; il oubliait que, neuf années auparavant, un des plus célèbres historiens du pays de Schiller, un des rénovateurs de la science historique au XIXe siècle, M. Léopold Ranke, avait raconté d’après les chroniques locales et les témoignages des acteurs eux-mêmes les guerres de 1804 à 1817. Depuis M. Léopold Ranke, combien de voyageurs et de publicistes, en Allemagne, en France, en Angleterre, ont étudié avec sympathie les destinées de ce petit peuple ! Dans une histoire des huit dernières années publiée récemment par M. Édouard Arndt, on trouve un chapitre intitulé la Serbie depuis le traité de Paris, et on y peut lire ces paroles significatives. « Parmi les peuples chrétiens autrefois les sujets, aujourd’hui les vassaux de la Porte, le plus énergique est le peuple serbe ; des divers états formés du démembrement de l’empire turc, la Serbie occupe la première place au point de vue militaire. Les Serbes ont commencé leur guerre de délivrance en 1804, onze années avant les Grecs, et cette guerre, ils l’ont soutenue seuls, tandis que les Grecs ont attiré les regards et obtenu des secours de toute l’Europe. À la tête de l’insurrection hellénique étaient des princes et des hommes d’état, les Ypsilanti, les Mavrocordato ; des écrivains, des savans illustres, prêtaient à ce mouvement l’appui de leur enthousiasme. Chez les Serbes au contraire, la guerre de délivrance est sortie des derniers rangs du peuple, et elle a eu pour chefs des hommes qui ne savaient pas même lire, un George Petrovitch, un Milosch Obrenovitch. L’origine de la révolution serbe a été absolument populaire ; aussi toutes les institutions qui en sont nées portent-elles cette empreinte. Les Serbes n’ont pas fait venir leurs princes de l’étranger, ce n’est pas à l’étranger qu’ils ont demandé leurs institutions ; tout est sorti chez eux de leur caractère et de leurs traditions nationales. Tandis que des Grecs, des Bosniaques même, frères des Serbes, pour se soustraire aux violences des oppresseurs musulmans, embrassaient l’islam en si grand nombre, la Serbie est restée invinciblement attachée à la foi chrétienne. » Cette