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à peine échauffé jetait feu et flamme. N’oublions pas enfin le Bernois Bonstetten, apôtre de Jean-Jacques, ami de Jean de Muller et de Mme de Staël : il servait de trait d’union entre deux siècles ; c’était un brillant vieillard, studieux et mondain. « A Genève, écrivait-il à une femme, tout fleurit, tout fait des pas de géant ; on n’éprouve jamais un moment de vide, tant il y a de cours. De Candolle est admirable et attire la plus brillante société. On ne trouverait pas ailleurs des hommes comme les Pictet. Tout ce qui pense et écrit en Europe passe dans notre lanterne magique. On ne rencontre que grands seigneurs et princes. Ce séjour est préférable à celui de Paris ; ce qui est dispersé dans la grande ville se trouve réuni ici en un bouquet. Genève, c’est le monde dans une noix. »

De cette association d’intelligences résulta un nouveau mouvement, une école juridique, économique et politique coexistant avec celle des naturalistes, et, il faut le dire, effaçant de plus en plus celle des théologiens. Dumont, Bellot, d’Yvernois, Mallet Du Pan, Pictet de Rochemont, Lullin de Châteauvieux, Sismondi, Rossi, plus tard M. Antoine Cherbuliez et M. Gide firent marcher cette science du droit, qui d’ailleurs n’était jamais restée en arrière ; plusieurs jurisconsultes estimés des siècles précédens, Burlamaqui, Jacques Godefroi, Jacques Lect, étaient Genevois. M. Amiel remarque à ce propos que, même en religion, Genève, en ceci très romaine, est une ville de légistes, Calvin l’était. « Sous lui, la Bible est devenue un corpus fidei parallèle au corpus juris ;… l’Évangile apparaît un peu comme la jurisprudence du ciel et la procédure du salut. » De là quelque sécheresse. Les Genevois de la restauration n’étaient pas beaucoup plus ardens en religion que ceux du siècle dernier : ils croyaient ce qu’ils pouvaient, fréquentaient le temple et se comportaient en hommes de bien ; mais cette façon d’aimer Dieu ne pouvait suffire aux âmes mystiques. Il vint d’Ecosse des missionnaires convaincus et passionnés qui prêchaient la réforme dans la réforme, et des têtes chaudes se jetèrent éperdument dans ce nouveau parti ; c’est, ce qu’on appela le « réveil. » Hélas ! il n’en résulta qu’une bourdonnante éclosion de sectes moitié jansénistes, moitié quiétistes, qui fractionnèrent en quantité de cloisons la vieille ruche genevoise : il s’y fabriqua dès lors tout autre chose que du miel. Une femme de courage et d’esprit, Mme de Gasparin, a vivement fustigé dans un petit livre écrit de bonne encre les affectations et les hypocrisies de ces frelons qui étaient venus se glisser au milieu des abeilles. Elle les peint d’après nature, plaintifs, étroits, formalistes, toujours gémissant les uns contre les autres, ne fréquentant point les péagers, jetant la première pierre aux