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lorsque ces enfans devenaient des hommes. Calvin fonda aussi l’académie, qui « devait donner à la patrie genevoise de bons serviteurs, des ministres éclairés et une influence au dehors. » Il s’établit une sorte de hiérarchie universitaire : les maîtres commençaient par enseigner au collège, et passaient ensuite à l’académie, où, de chaire en chaire, ils s’élevaient à celle de dogmatique ; c’était le sommet. Fort estimés, quoique peu payés (quand la république avait besoin d’argent, on leur retirait leurs honoraires), les professeurs étaient appelés aux plus hautes fonctions. Aussi vit-on dès lors installés dans ces chaires presque tous les hommes éminens du pays. Il y eut des dynasties de savans ; M. Amiel a compté parmi les professeurs de l’académie 6 Turrettini, 5 Pictet, 4 Tronchin, autant de Cramer, plusieurs Leclerc, plusieurs Mallet, et parmi les étudians tous les Genevois qui ont fait parler d’eux, sans compter les étrangers illustres, Agrippa d’Aubigné, Bayle, Jacobi, M. Guizot. Au commencement, cette institution ne fut guère qu’une école de théologie ; mais elle devait se développer et se modifier avec le temps. Une lutte ne tarda point à éclater entre l’esprit clérical, qui s’adoucit par degrés, et l’esprit laïque. On avait d’abord exigé des étudians, avant de les admettre à suivre les cours, la confession de foi la plus stricte ; mais cette obligation cessa dès 1576 sur l’excellent motif « qu’il n’était pas raisonnable de presser ainsi une jeune conscience en lui faisant signer ce qu’elle n’entendait pas. » L’église elle-même, cédant peu à peu, finit par abolir toute confession de foi ; le Christ aux bras étroits que n’aimait pas Bossuet ne pouvait régner éternellement à Genève. Cependant l’esprit laïque ne devait triompher qu’à la longue malgré le talent et le mérite de ses premiers représentans, les deux Budé, Scaliger, Casaubon, Henri Estienne, plus tard Jean Leclerc. Ces hommes éminens, poussés à Genève par les persécutions catholiques, en furent exclus par les résistances calvinistes. Casaubon, il est vrai, « le phénix des beaux esprits, » garda quatorze ans sa chaire ; mais Scaliger ne fit que passer, et Jean Leclerc dut émigrer en Hollande, où il fonda un foyer de libre pensée et de publicité. militante. La théologie régnait encore en souveraine à Genève ; ceux qui avaient quelque velléité d’émancipation devaient reculer ou partir. « Les Genevois ont déclaré une bonne fois et pour jamais, avait répondu Théodore de Bèze à Ramus, qui offrait à Genève ses services, que ni en logique, ni en aucune autre branche du savoir, on ne s’écarterait des sentimens d’Aristote. » Notons ce mot « pour jamais ; » les hommes de foi disposent toujours de l’avenir.

La prédiction de Théodore de Bèze se trouva fausse au bout d’un siècle. Le cartésien Jean-Robert Chouet, appelé de Saumur à