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leva des tempêtes ; les magistrats durent sévir, ils firent fermer l’école et sceller la porte. Vuarin ne se tint pas pour battu. Il respecta les sceaux de Genève, mais il enfonça la muraille à côté de la porte condamnée ; les frères et les écoliers rentrèrent par la brèche. Pourquoi cette petite guerre qui dura quarante ans, puisque les Genevois s’obstinaient à rester calvinistes ? Où Vuarin trouva-t-il un troupeau ? Chez les étrangers, les Français, les Savoyards. C’est sur les étrangers qu’il s’appuya, comme avait fait Calvin, comme devait faire M. Fazy, comme font aujourd’hui les socialistes de Genève. C’est par l’occupation étrangère qu’il était devenu curé de Saint-Germain, c’est par l’ingérence étrangère qu’il put garder son église. Dès les premiers jours de 1814, des députés genevois s’étaient rendus à Bâle, quartier-général des puissances coalisées, pour solliciter en faveur de leur patrie l’appui des souverains. Ces députés trouvèrent à Bâle le curé Vuarin, qui, bien qu’élu par Napoléon, venait soutenir auprès des mêmes souverains les intérêts de sa paroisse. Il s’était glissé jusque-là dans le traîneau d’un prêtre russe. Il fut le protégé du prince de Metternich comme il avait été le protégé de Mme Mère. Il eut plus tard une correspondance avec le tsar Alexandre, qui lui envoya de l’argent pour les sœurs de charité. Il avait des amis partout ; les Noailles, les Montmorency, Chateaubriand, Frayssinous, Barante, lui écrivaient ; J. de Maistre et Lamennais lui adressaient lettres sur lettres. Il faisait tout ce qu’il voulait à la cour de Munich. À chaque instant, il s’échappait de Genève avec un passeport visé pour toutes les villes de l’Europe, et l’on ne savait plus où le trouver. On perdait bientôt sa trace. Il passait par Berne pour aller à Turin ; on le croyait à Paris, il était à Rome. Le comte de Maistre disait de lui : « C’est un inconcevable personnage en activité, en zèle et en persévérance. Quand je le vois agir, il me donne l’idée des succès apostoliques. » Il disait encore, écrivant à l’abbè Vuarin : « C’est en vrai général, mon cher ami, que vous conduisez vos opérations ; vous avez vos avant-postes, vos espions, vos auxiliaires, Rome, Vienne, Turin et votre chère Bavière ; vous mettez tout en œuvre pour assurer votre bonne cause. » En effet, l’abbé mettait tout en œuvre, sans s’inquiéter des moyens. Un soir, à Genève, en sortant d’un salon, il prit par mégarde dans l’antichambre un manteau qui n’était pas le sien, et trouva dans les poches un paquet de papiers ; il y jeta les yeux en rentrant à la cure, « et voilà qu’à travers les lignes son nom, fortuitement entrevu, vint piquer sa curiosité. Lirait-il ? ne lirait-il pas ? Il lut. » Ce sont les deux abbés ses biographes qui racontent l’anecdote en ces termes. Ce paquet de papiers était un mémoire contre Vuarin. On l’attaquait parfois, il ripostait toujours