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Des chapelles s’ouvrirent clandestinement, malgré la population révoltée. Enfin l’occupation française rétablit officiellement le culte aboli, auquel une église, celle de Saint-Germain, fut restituée par ordre : c’était la première que les réformés eussent enlevée à Rome au XVIe siècle. Bonaparte donna de l’argent pour réparer et décorer ce monument. Cette victoire fut obtenue par la fougue et la persévérance d’un prêtre savoyard nommé Vuarin, dont deux abbés, M. Fleury et M. Martin, ont écrit naïvement la biographie en deux gros volumes trop peu lus. Vuarin était taillé pour la guerre et pour l’empire ; Lamennais, son ami, qui fit avec lui le voyage de Rome, l’appelait un admirable homme de combat. Fils de paysan, né dans un petit village, à Collonges-Archarap, au pied du Salève, il se voua dès l’enfance à mener durement les âmes. Un jour qu’il rudoyait ses moutons, son père lui dit : « Quand tu seras prêtre, maltraiteras-tu ainsi ton troupeau ? » Il répondit : « Tranquillisez-vous, je saurai conduire les hommes. » Pendant la révolution, il mena une vie d’aventurier au profit de la sainte cause. Il courait sous mille déguisemens par monts et vaux pour dire la messe aux campagnards en dépit des prohibitions. Dénoncé, épié, il échappait à toutes les surveillances. Un jour des gendarmes étaient à ses trousses ; ils l’atteignirent dans une auberge. Vuarin, averti, aborda les gendarmes. « Citoyen, dit-il à l’un d’eux, fais-moi le plaisir de tenir la bride de mon cheval, il est méchant comme un diable. » Le gendarme tint la bride, et Vuarin, sautant en selle, partit comme un trait. Quand plus tard, après une longue campagne, il eut fait donner aux catholiques de Genève, c’est-à-dire aux autorités et à la garnison françaises, l’église de Saint-Germain, il ne put être sur-le-champ curé de cette église ; les Genevois, qui le connaissaient, ne voulaient pas de lui. Le premier curé fut l’abbé Lacoste, homme doux et craintif, mal fait pour résister à l’émeute, qui venait l’assaillir, jusqu’au pied de l’autel. Vuarin n’obtint la place que plus tard, et non sans peine ; il fallut pour la lui donner un décret de Napoléon. Lorsqu’il reçut ce décret, il était en Savoie ; il partit aussitôt pour son poste, disant à un ami : « Quand on est nommé curé à Genève, on y va, on y reste et on y meurt. »

Dès lors sa vie ne fut plus qu’une longue lutte contre les protestans. Ce n’était pas sur eux, sur leurs consciences, qu’il voulait agir ; il l’essaya peut-être, mais n’y réussit point ; il n’opéra qu’une seule conversion dans la société genevoise. Vuarin fit peu ou point de propagande. Son affaire était d’avoir une église, un cimetière, des écoles, et d’avoir tout cela dans Genève, malgré les Genevois. Il introduisit dans sa paroisse des sœurs de charité, des frères de la doctrine chrétienne. Ce dernier acte, accompli en tapinois, sou-