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relatives aux époques des grands phénomènes géologiques ; mais de là aux doctrines que nous examinons, il y a bien loin. Isidore Geoffroy admettait la variabilité de l’espèce ; nulle part il ne parle de la mutabilité. C’est donc bien à tort, ce me semble, que Darwin a placé son nom parmi ceux des naturalistes qui, de près ou de loin, se sont rattachés à cette idée.

Il en est tout autrement de Bory de Saint-Vincent. À diverses reprises, et surtout dans l’article Création du Dictionnaire classique d’histoire naturelle, dont il dirigeait la rédaction, celui-ci développa sur plus d’un point la doctrine de Lamarck, et en tira des conséquences qui lui appartiennent en propre. Bory admet la formation spontanée, journalière, d’espèces nouvelles, non, il est vrai, sur nos continens, depuis longtemps peuplés d’animaux et de plantes, mais tout au moins sur les terres considérées par lui comme de formation récente. Il cite comme exemple l’île Mascareigne (Bourbon), qu’il croit assez récemment sortie des mers sous l’influence des forces volcaniques, et qui renfermerait, d’après lui, « plus d’espèces polymorphes que toute la terre ferme de l’ancien monde. » Sur ce sol relativement tout moderne, les espèces ne sont pas encore fixées. La nature, en se hâtant de constituer les types, semble avoir négligé de régulariser les organes accessoires. Dans les continens plus anciennement formés au contraire, le développement des plantes a forcément suivi une marche identique depuis un nombre incalculable de générations. Les végétaux ont ainsi arrêté leurs formes, et ne présentent plus les écarts si fréquens dans les pays nouveaux. Sans être bien explicite, Bory semble faire intervenir ici une donnée nouvelle, l’influence exercée sur la fixation des caractères spécifiques par l’action des ascendans placés eux-mêmes dans des conditions d’existence constantes. Ce serait pour ainsi dire l’habitude exerçant son pouvoir non plus seulement sur les individus, mais sur l’espèce elle-même.

Un botaniste éminent, M. Naudin, est aussi à certains égards le disciple de Lamarck, dont il défend la conception générale sans se dissimuler ce qu’ont de fondé les critiques qu’il s’est attirées ; il est aussi un des précurseurs sérieux de Darwin. Selon M. Naudin, la communauté d’organisation dans les êtres qui composent un règne ne peut s’expliquer que par la communauté d’origine. Dans tout autre système, les ressemblances entre espèces, ajoute-t-il, ne sont que des coïncidences fortuites, des effets sans causes. Si au contraire on admet un ancêtre commun, « ces ressemblances sont à la fois la conséquence et la preuve d’une parenté non plus métaphysique, mais réelle… Envisagé à ce point de vue, le règne végétal se présenterait comme un arbre dont les racines, mystérieusement