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la théorie, Geoffroy ne fit guère que généraliser et reporter aux animaux supérieurs les considérations admises par Lamarck au sujet des mollusques fossiles. Encore s’exprima-t-il d’ordinaire avec une grande réserve. « C’est, dit-il, une question que j’ai posée, un doute que j’ai émis, et que je reproduis au sujet de l’opinion régnante[1]. » Toutefois il formula dans le même travail une proposition aussi explicite et aussi étendue que possible. « Les animaux vivant aujourd’hui proviennent par une suite de générations et sans interruption des animaux perdus du monde antédiluvien. » En particulier il fit descendre les grands sauriens, les crocodiles actuels, des crocodiles de l’ancien monde[2] ; mais il n’alla pas au-delà. Jamais il ne prétendit faire remonter les espèces passées, ou présentes à un prototype quelconque, et, cette opinion lui ayant été prêtée, il répondit par une protestation formelle[3]. Geoffroy n’a pas cherché davantage à préciser l’origine première des êtres. Il s’est montré à cet égard bien plus prudent, plus sage que Lamarck.

Dans les développemens de la doctrine générale, Geoffroy est aussi d’abord plus précis que son illustre prédécesseur. Il demande des enseignemens à l’embryogénie, à l’histoire des métamorphoses, à la tératologie ou science des monstruosités. Prenant pour exemple la grenouille et l’expérience si curieuse faite par William Edwards[4], il cherche dans la nature et y trouve, facilement des espèces qui reproduisent les formes successives des batraciens les plus élevés. Le protée qui vit dans les lacs souterrains de la Garniole et conserve toute sa vie les branchies des têtards est à ses yeux une sorte de larve permanente, mais capable de se reproduire, et qui n’a qu’un pas à faire pour devenir semblable à nos lézards d’eau (tritons). En s’appuyant sur ces faits, Geoffroy déclare que c’est chez l’embryon en voie de formation qu’il faut aller chercher les

  1. Sur le degré d’influence du monde ambiant pour modifier les formes animales. (Mémoires de l’Académie, t. XII.)
  2. C’est même à l’occasion de ses recherches sur des fossiles de cette nature trouvés en Normandie que Geoffroy Saint-Hilaire fut amené à développer ses idées relatives à l’origine des espèces actuelles.
  3. Dictionnaire de la conversation, article Hérésies panthéistiques.
  4. William Edwards plaça dans une boîte à compartimens percée de trous et immergée dans la Seine douze têtards arrivés tout près de l’époque de leur transformation, et dont il détermina le poids. Un plus grand nombre de ces mêmes têtards furent placés dans un grand vase dont on se contenta de changer l’eau tous les jours ; mais ils y subissaient l’influence de la lumière, et pouvaient venir respirer l’air en nature à la surface de l’eau. Ces derniers se transformèrent en peu de jours. Sur les douze qui vivaient en pleine eau et dans l’obscurité, deux seulement subirent la transformation normale, mais beaucoup plus tard. Dix restèrent à l’état de larves, bien qu’ils eussent doublé et même triplé de poids. (De l’influence des agens physiques sur la vie, 1824.)