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trouve des races qui n’éprouvent pas de semblables besoins, leur tête reste privée de tentacules, elle a même peu de saillie. » Voilà comment Lamarck comprend que toutes les formes animales sont dérivées peu à peu de proto-organismes nés sous l’empire des forces physiques. Il ne se borne pas à indiquer ce fait capital, conséquence logique de tout ce qui précède, il développe sa conclusion et dresse à deux reprises le tableau généalogique indiquant la filiation des classes dans le règne animal[1]. Les mêmes principes s’appliquent aux végétaux, et conduisent à des résultats analogues. Seulement il ne peut exister de véritable habitude dans les plantes. Aussi les transformations s’accomplissent-elles ici grâce « à la supériorité que certains mouvemens vitaux peuvent prendre sur les autres sous l’influence des changemens de circonstances. » C’est encore, on le voit, une sorte d’habitude. Dans les deux règnes d’ailleurs, les causes du changement sont tout intérieures et individuelles. C’est l’organisme qui agit sur lui-même volontairement ou involontairement. Le monde extérieur, le milieu, n’intervient que pour déterminer les actes ou les phénomènes, causes immédiates de toutes les modifications subies par les êtres vivans. Il y a là entre la manière de voir de Lamarck et celle de Buffon une différence radicale, une opposition complète. À diverses reprises, Lamarck insiste sur l’accord existant entre les conséquences de sa théorie et les faits de la géographie, sur la facilité résultant de ses doctrines pour rendre compte des rapports mutuels des groupes zoologiques. Tout ce qu’il dit sur ces diverses questions est généralement juste, surtout si l’on se reporte à l’époque où il écrivait. Les faits semblent donc ici confirmer de tout point la théorie.

Les tableaux de Lamarck, les déductions qu’il tire de ses principes, n’embrassent que les types actuels, ne comprennent que les espèces vivantes. À l’époque où il écrivait, la géologie, la paléontologie surtout, étaient loin d’être ce qu’elles sont devenues[2]. Il n’est donc pas surprenant qu’il n’ait pas demandé aux fossiles les enseignemens qu’on y est allé chercher plus tard. Toutefois il n’a pas laissé entièrement de côté les problèmes spéciaux soulevés par ces restes organiques. Il les a très nettement et très positivement résolus dans le sens de sa théorie. L’idée de la destruction des espèces lui répugne, et, quand il s’agit des grands mammifères, dont Cuvier commençait à décrire les ossemens, il en attribue la disparition à l’homme ; mais devant le nombre croissant

  1. Une première fois dans les Additions à la Philosophie zoologique, puis dans l’Introduction à l’histoire des animaux sans vertèbres.
  2. La première édition des Recherches sur les ossemens fossiles est de 1812 ; la Description géologique des environs de Paris est de 1822.