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Voici comment Lamarck explique le mécanisme de ces créations exclusivement dues aux forces générales. L’attraction a formé dans les eaux du vieux monde et forme journellement dans celles du monde actuel de très petits amas de matières gélatineuses ou mucilagineuses. Sous l’influence de la lumière, les fluides subtils (calorique, électricité) pénètrent ces petits corps, et, comme ils exercent une action répulsive, en écartent les molécules, y creusent des cavités, en transforment la substance en un tissu cellulaire d’une délicatesse infinie. Dès lors ces corpuscules sont capables d’absorber et d’exhaler les liquides et les gaz ambians ; le mouvement vital commence, et, selon la composition de la petite masse primitive, on a un végétal ou un animal élémentaire, un byssus ou un infusoire. Peut-être même des êtres bien plus élevés prennent-ils naissance par le même procédé direct. N’est-il pas présumable, dit Lamarck, qu’il en est ainsi pour les vers intestinaux ? Pourquoi les choses ne se passeraient-elles pas de même pour des mousses, pour des lichens ?

Si le naturaliste, partant des êtres élémentaires directement engendrés par la nature, considère l’ensemble des animaux ou des végétaux, il reconnaît bien vite que d’un groupe à l’autre l’organisation s’élève par degré et se perfectionne en se compliquant. Toutefois, — et Lamarck insiste sur ce point avec une certaine vivacité, — ce fait général n’est vrai qu’à la condition de procéder par grandes coupes. En réalité, il n’existe rien de semblable à l’échelle rigoureusement graduée qu’ont admise Leibniz, Bonnet et d’autres philosophes ou naturalistes. Les animaux sont parfaitement distincts des végétaux, et chacun de ces règnes, étudié isolément, ne représente pas une série unique. Tous deux ont, il est vrai, le même point de départ : dans l’un et dans l’autre, l’organisation, d’abord d’une simplicité extrême, s’est complétée par des moyens analogues ; mais chez tous deux le développement régulier, normal, a été troublé par des circonstances accidentelles. De là proviennent des lacunes et des irrégularités portant tantôt sur la forme extérieure, tantôt sur l’organisation interne, et qu’on a eu tort de nier. Toutefois, dans les familles, dans les genres et surtout dans les espèces, la loi générale se reconnaît d’une manière évidente, et de là même résultent les difficultés que le naturaliste rencontre à chaque pas dans la délimitation de ces groupes. Chaque jour d’ailleurs on découvre de nouveaux intermédiaires entre les types qu’on avait pu croire nettement séparés. C’est ainsi que les monotrèmes (ornithorynque, échidné) viennent de réunir aux mammifères les reptiles et les oiseaux.

Comment expliquer un pareil état de choses ? Lamarck répond à cette question par le pouvoir de la nature. C’est elle qui a tout pro-