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dans le fond commun préparé par la nature. Il n’y a donc pas de génération ou même de filiation à proprement parler. On peut presque dire qu’il n’y a ni père ni mère. C’est la nature qui a produit de tout temps et qui produit sans cesse les intermédiaires existans du prototype à l’homme, et qui apparaît seule comme la grande alma parens rerum.

Évidemment cette conception est aussi opposée que possible aux idées de de Maillet, qui admet des germes d’espèces, l’existence de celles-ci et la transformation directe, individuelle, d’un poisson en oiseau, d’un ver marin en ver de terre, qui, à mesure qu’ils apparaissent, peuplent ainsi les continens par voie de filiation immédiate. On s’est donc trompé lorsqu’on a associé au point de vue des systèmes Robinet et de Maillet, surtout on s’est complètement mépris lorsqu’on a placé ces auteurs au nombre des philosophes qui ont cherché l’origine de tous les êtres dans les modifications d’un seul ou dans le développement d’un premier germe. Il n’y avait en réalité guère plus de raison pour rapprocher leurs noms de celui de Lamarck ; mais, avant d’examiner les doctrines de ce dernier, je dois m’arrêter un instant à celles de Buffon.


II.


Dans un travail publié ici-même il y a quelques années[1], j’ai indiqué comment notre grand naturaliste, après avoir cru d’abord à l’invariabilité absolue de l’espèce, était passé subitement à l’extrême opposé. Pendant cette seconde phase de son évolution intellectuelle, Buffon admit non-seulement la variation, mais même la mutation et la dérivation des espèces animales. Les groupes composés d’espèces plus ou moins voisines lui apparaissaient alors comme ayant eu une souche principale commune de laquelle « seraient sorties des tiges différentes et d’autant plus nombreuses que les individus dans chaque espèce sont plus petits et plus féconds. » Il a fait l’application de cette idée aux espèces du genre cheval connues de son temps ; il l’a appliquée aux grands chats du Nouveau-Monde, le jaguar, le couguar, l’ocelot, le margai, qu’il rapproche de la panthère, du léopard, de l’once, du guépard et du serval de l’ancien continent. « On pourrait croire, ajoute-t-il, que ces animaux ont eu une origine commune. » Et pour expliquer la distinction actuelle il remonte à l’époque où les deux continens se sont séparés. Il dit encore que les deux cents espèces dont il a fait l’histoire « peuvent se réduire à un assez petit nombre de familles ou souches

  1. Unité de l’espèce humaine. Voyez la Revue du 1er janvier 1861.