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rité spirituelle dans tout l’univers et dans une si grande multiplicité de royaumes et d’empires, » Et tout de suite, sans hésitation, car il l’avait très présent à l’esprit, parce qu’il l’avait souvent cité à la commission elle-même, M. Émery se mit à rapporter textuellement le passage de Bossuet, faisant en particulier ressortir ces paroles de l’évêque de Meaux : « nous félicitons de sa souveraineté temporelle non-seulement le siège apostolique, mais encore l’église universelle, et nous souhaitons de toute l’ardeur de notre cœur que cette principauté sacrée demeure saine et sauve en toutes manières. »

Napoléon avait écouté patiemment, comme il lui arrivait d’ordinaire lorsqu’il rencontrait quelqu’un qui savait parler avec poids des choses qu’il connaissait parfaitement. « Eh bien! dit-il, je ne récuse pas l’autorité de Bossuet. Tout cela était vrai de son temps, où l’Europe reconnaissait plusieurs maîtres, li n’était pas convenable que le pape fût alors assujetti à un souverain particulier; mais quel inconvénient y a-t-il que le pape me soit assujetti, à moi, maintenant que l’Europe ne connaît d’autre maître que moi seul? » L’embarras de M. Émery n’était pas médiocre en présence de cet incommensurable orgueil de l’empereur, car il aurait souhaité le convaincre, et ne voulait pas le blesser. « Votre majesté connaît mieux que moi, reprit-il, l’histoire des révolutions. Ce qui existe maintenant peut ne pas toujours exister, et dans ce cas tous les inconvéniens prévus par Bossuet pourraient reparaître. Il ne faut donc pas changer un ordre si sagement établi. » L’empereur ne répondit pas; mais, passant à la clause que les évêques avaient proposé de faire ajouter au concordat et portant que sa sainteté donnerait l’institution canonique dans un délai déterminé, faute de quoi le droit d’instituer serait dévolu au concile de la province, il interpella derechef M. Émery, lui demandant s’il croyait que le pape ferait cette concession. M. Émery répondit sans hésiter qu’il croyait que le pape ne la ferait pas, parce que ce serait anéantir son droit d’institution. L’empereur fit un mouvement, et, se tournant vers les évêques de la commission, il leur dit : « Ah! ah! messieurs, vous vouliez me faire faire un pas de clerc en m’engageant à demander au pape une chose qu’il ne doit pas m’accorder. » Les évêques furent très mortifiés de l’apostrophe que leur avait attirée la réponse de M. Émery. En se levant pour se retirer, l’empereur salua gracieusement de la tête l’ancien supérieur de Saint-Sulpice sans paraître faire beaucoup d’attention aux autres membres de la commission. Il demanda en sortant à l’un des évêques si ce que M. Émery avait dit de l’enseignement du catéchisme sur l’autorité du pape s’y trouvait effectivement. L’évêque ne put s’empêcher de le reconnaître. Il s’ensuivit un moment de conversation générale, et, se