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successif, il dure encore, il se continuera dans l’avenir, et, à mesure que les mers baisseront davantage, les flores, les faunes marines et terrestres s’enrichiront de plus en plus. Nulle part d’ailleurs de Maillet ne donne à entendre que les espèces marines varient tant qu’elles restent dans leur premier élément, pas plus qu’il ne parle de changemens survenus dans les espèces terrestres après la grande métamorphose qui en a changé la nature.

Tel est le système que, sur les instances de Fontenelle, de Maillet joignit à ses sérieuses études de géologie et de paléontologie. À tout prendre et à tenir compte de la date, il n’était pas mal conçu. L’auteur partait de faits matériels bien observés et d’une interprétation de ces faits au moins plausible à une époque où la théorie des soulèvemens était loin de tous les esprits ; il s’appuyait sur une doctrine professée par les maîtres de la science ; il n’ajoutait qu’une hypothèse, celle de la transmutation des espèces. À l’appui de cette hypothèse, il n’invoquait guère que des argumens difficiles à réfuter, précisément à cause de ce qu’ils avaient de vague ; mais cela même dut séduire plus d’une imagination. Quiconque cherche à se rendre compte de sa façon de raisonner y relève facilement des rapprochemens hasardés, des assertions gratuites, des appels à la possibilité. Quelqu’un a-t-il jamais constaté la réalité de ces migrations d’un élément à l’autre, de ces brusques transformations ? Non certes, et Telliamed en convient tout le premier ; mais il répond qu’elles ne s’accomplissent que dans le voisinage des pôles ou dans des lieux tout aussi déserts. Voilà pourquoi elles n’ont pas encore eu de témoins. Elles n’en sont pas moins réelles, dit-il, car chaque jour on découvre en Europe, en France même, des espèces jusque-là inconnues. Or comment admettre qu’elles aient pu échapper si longtemps à l’observation ? N’est-il pas plus simple de croire qu’elles sont de formation nouvelle ? — Que répondre ? et comment réfuter un adversaire qui argue de ses convictions personnelles et invoque jusqu’à notre ignorance même comme une preuve en sa faveur ? C’est ce que fait ici Telliamed, entraîné bien loin de son point de départ et de sa méthode première. Il avait commencé par constater et étudier des faits vrais dont il comprit mieux que la plupart de ses contemporains l’importance et la signification précises, il les avait coordonnés d’une manière assez rationnelle ; mais il voulut les expliquer, et cette explication était au-dessus de sa science. Voilà comment un livre « commencé, dit M. d’Archiac, avec toute la sévérité des méthodes scientifiques » aboutit à des conceptions qu’on ne songe même plus à combattre.

Il est un autre auteur dont le nom a été prononcé quelquefois dans la discussion des idées dont il s’agit ici, c’est J.-B.-René Ro-