railleur. Si je l’inscris ici parmi ceux des précurseurs des idées que je vais discuter, ce n’est point avec l’intention de jeter d’avance sur elles le moindre discrédit ; c’est uniquement parce que ce nom revient à chaque instant dans les controverses soulevées par l’ordre de conceptions qui nous occupe ; c’est aussi parce qu’il m’a toujours paru qu’on a été injuste envers cet auteur. Sans vouloir le réhabiliter au-delà de ses mérites, je crois utile de montrer pourquoi il a été si vivement attaqué non-seulement par ceux dont il était en quelque sorte l’adversaire naturel, mais encore par ceux qui semblaient devoir l’accueillir en allié.
De Maillet était philosophe, comme on disait alors ; c’était un « homme de beaucoup d’esprit, dit M. d’Archiac, de bon sens sur plusieurs points, fort instruit pour son temps[1]. » Doué d’une imagination évidemment fort aventureuse, il avait inventé sur la constitution de l’univers, sur le passé et l’avenir de notre globe, sur l’origine des êtres animés, un système fort peu d’accord avec les dogmes généralement admis. À ce titre, il devait être et fut vivement attaqué par les défenseurs de ces dogmes. D’autre part, et précisément dans ce que son livre a de très sérieux et de vrai, il apportait des faits précis, faciles à invoquer à l’appui de certains passages des livres saints. Sa théorie mise de côté, quiconque soutenait la réalité du déluge mosaïque pouvait en appeler à ce témoignage d’autant plus important qu’il venait d’un esprit plus libre. Or Voltaire ne voulait pas du déluge universel ; il comprit le danger, et fit pleuvoir ses railleries sur le philosophe dont les doctrines tendaient à compromettre les siennes. On sait de quel poids pesaient alors et pèsent encore aujourd’hui sur l’opinion les plaisanteries de Voltaire. Voilà comment de Maillet a été repoussé par les deux camps, comment il a été honni en certains cas par ceux-là mêmes qui semblent avoir copié ses dires.
De Maillet n’est nullement un athée. Son philosophe indien proclame hautement l’existence d’un Dieu, esprit éternel et infini, qui a donné l’existence à tout ce qui vit. Il cherche même à montrer que son système cosmogonique s’accorde avec la Bible, à la condition d’interpréter certains passages autrement qu’on ne le fait d’ordinaire ; mais il réclame pour le philosophe le droit de chercher dans la science l’interprétation des faits naturels. À ce point de vue, il est l’homme de son temps[2]. Il admet l’existence de tourbillons analogues à ceux de Descartes, et il suppose que les soleils,