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soumettre encore. Si, dédaignant tous ces préceptes surannés, les graveurs ne s’inspiraient que de la nature, s’ils pouvaient oublier des modèles qu’ils ont admirés et se préoccuper exclusivement de la vitalité expressive du modèle qu’ils ont à rendre, il n’est pas douteux qu’avec la merveilleuse dextérité de main qui les distingue ils n’arrivent à égaler, sinon à surpasser leurs devanciers. Bien des graveurs, emportés par des considérations, qui devraient toujours leur rester étrangères, semblent ne plus savoir qu’une médaille n’est pas un tableau. J’en ai vu une qui représentait sur la face et sur le revers des scènes d’hôpital : malade couché dans son lit, médecin, sœur de charité, visiteur attendri. C’est puéril. La gravure sur médaille est avant tout un art symbolique qui doit résumer un fait par une allégorie quelconque ; très simple et très facile à comprendre ; mais sous aucun prétexte elle ne doit reproduire le fait intrinsèque, le fait nu, anecdotique, familier. Cela est bon pour les lithographies.

C’est là le côté moral de la médaille pour ainsi dire, et les maîtres en cet art feront bien d’y songer ; mais il est un autre aspect de la question, aspect tout matériel, et dont il n’est pas inutile de dire un mot. La disposition des médailles frappées de nos jours est, quant à la face, généralement peu habile. On en restreint le champ par un listel bien superflu, qui arrête et fixe l’œil dans les contours secs d’une circonférence au milieu de laquelle l’effigie semble prendre des proportions trop considérables. Ce bord soulevé et composé d’un trait aigre durcit l’ensemble et lui enlève cette sorte d’infini très doux, très fuyant, qu’on admire sur les médailles, antiques. Depuis le nom qu’on a la mauvaise habitude d’inscrire autour de la tête est gravé en lettres romaines, dont la rigidité, la froideur, la rectitude forcée, sont en contradiction directe avec les lignes arrondies, brisées et multiples du visage. Il y a là, comme on dirait en musique, une dissonance. Si le champ est en cuvette au lieu d’être plan, cela ne vaudra que mieux, car alors il n’offrira plus un ton égal et monotone ; il aura des reflets qui, variant la nuance générale, donneront à cette dernière une chaleur et une mobilité qu’un champ plat ne produit jamais. Je prendrai pour exemple non pas les médailles antiques, auxquelles le fruste donne une apparence d’une exquise douceur, mais cette même médaille des chemins de fer dont je viens de parler. C’est une tentative très hardie de M. Bovy, et malheureusement elle n’a point été imitée. Il n’y a pas de listel ; le champ en cuvette profonde contient une effigie que le relief et le travail du burin ont rendue fort belle. La lumière y joue facilement, nul contour trop précis ne repousse le regard, et si, on pouvait enlever les lettres qui enserrent la tête dans des jambages grêles et froids, ce serait une œuvre d’art irréprochable. Le