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ornés d’une inscription : « bronze des canons pris sur les Russes à Austerlitz. » Du reste on doit croire que, malgré le travail qu’on leur impose, les balanciers ont la vie dure, car il en existe encore qui fonctionnent tous les jours et qui datent du règne de Louis XIV. Le balancier agit sur le métal comme le marteau sur l’enclume ; seulement l’enclume est une rotule supportant un coin recouvert d’un flan ; sur ce dernier, on place le second coin ; le marteau est représenté par une vis-maîtresse qui obéit aux mouvemens que lui impriment les barres dont l’instrument tout entier a pris le nom. Chaque boule est garnie de cinq ou six cordons qu’autant d’hommes saisissent ; d’un seul mouvement brusque et simultané, ils entraînent le levier en avant, la vis fait un tour, et son nez vient frapper avec une force irrésistible contre le coin supérieur. Le flan reçoit donc du même coup une double empreinte, celle de la face et celle du revers. La violence du choc est telle que la vis revient sur elle-même et repousse le levier en sens inverse ; il faut alors faire attention, car il suffit d’un choc de boule pour tuer un homme. Les accidens sont rares, et instinctivement les barriers se rejettent en arrière dès qu’ils ont donné l’impulsion.

Relativement aux autres salles de la Monnaie, celle-ci est silencieuse ; on n’y entend que l’ordre bref donné par le contre-maître et le coup sourd du balancier, qui semble trembler dans sa lourde armure de bronze. Comme en France la loi est par-dessus tout restrictive, nul ne peut faire frapper de médailles sans y être préalablement autorisé par le ministre d’état. C’est donc là, sous des balanciers toujours en mouvement, qu’on frappe les jetons de présence, les méreaux des diverses compagnies (académies, chambres des notaires, etc.), les pièces de mariage, dont tous les modèles sont fort laids, les innombrables médailles de sainteté qui, ornées d’exergues emphatiques, représentent toute sorte de personnages canonisés, guérissent les maladies, écartent le tonnerre, préviennent la mort et attirent les bénédictions du ciel. C’est par milliers qu’on en fabrique ; la vertu inhérente à ces amulettes n’a rien à faire sans doute avec le métal dont elles sont composées : si l’or ou l’argent en forme la matière, elles sont aussi minces que possible, réduites aux dimensions d’une simple pellicule ; le plus souvent elles sont en zinc, en plomb ou en cuivre. Elles affectent toutes les formes, rondes, carrées, ovales, en losange, et ressemblent, dans les mannes qui les contiennent, à des écailles irrégulières de poisson. C’est, dit-on, un excellent commerce ; on peut le croire sans peine à voir les masses considérables que la Monnaie en fournit (5,712,629 en 1867).

Pour ces petits objets, un seul coup de balancier suffit ; mais il n’en est plus ainsi dès qu’il s’agit d’une médaille dont l’ampleur