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attendant les petits racontages de circonstance, car aux jours où nous sommes la mort d’un homme de génie n’est guère plus que l’occasion d’une sorte de foire où l’on met à l’encan, comme les vieilles nippes de sa garde-robe, tout un solde d’anecdotes drolatiques et scandaleuses. Pour le pauvre Rossini, ce carnaval macabre n’a pas même attendu l’heure des funérailles. La fête musicale donnée à la Trinité n’était guère de nature à remonter le sérieux dans les âmes. On y jasait comme dans un salon du meilleur monde, les programmes circulaient de main en main avec un froissement de papier satiné on ne peut plus en harmonie avec le cérémonial liturgique, et les bravos se contenaient à peine lorsqu’est venu le duo de l’Alboni et de la Patti, une incomparable merveille d’exécution. Quant à l’illustre défunt, qui pourtant payait les violons, c’était dans cette foule de gens curieux et distraits à qui s’en soucierait le moins. On ne tournait le dos, on grimpait sur les chaises pour mieux voir. Et vraiment Rossini ne pouvait mieux faire que de mourir pour donner à cette aimable compagnie le divertissement d’une si édifiante matinée. Laissons à toutes ces misères le temps d’être oubliées, et parlons du Barbier de Séville et de Guillaume Tell. Le jour viendra bientôt peut-être où quand il sera question de Rossini on ne trouvera plus à citer que ces deux chefs-d’œuvre, deux dates entre lesquelles tout un monde de créations aura vécu, brillé, multiplié à l’infini et disparu sans retour. C’est contre ces réactions exagérées qu’il importe à la critique de s’élever. Du Rossini de Stendhal avec sa Pietra di paragone, sa Ceneventola, sa Gazza et même son Otello, tout n’est certes pas à conserver ; mais on aurait aussi par trop mauvaise grâce à vouloir aujourd’hui tout rejeter. Lui-même, dans la pleine conscience qu’il avait de sa force, n’hésitait pas à faire la part de l’oubli, et la faisait très large, tout en invoquant pour circonstance atténuante les mœurs du temps où il avait vécu, sa jeunesse et les conditions hâtives d’un travail obligé, car c’était le bon sens en personne que cet homme de génie, et tous ceux qui, s’évertuant à bien définir, à classer son œuvre, chercheront à fixer le trait original de cette physionomie trouveront comme nous que c’est grand dommage qu’il n’ait pas eu son Eckermann.


F. DE LAGENEVAIS.



ESSAIS ET NOTICES.
Les Arts au moyen âge et à l’époque de la renaissance, par Paul Lacroix (bibliophile Jacob). 1 vol. in-8o ; Didot.


De toutes les manières d’interroger le passé, une des plus attachantes est d’étudier les diverses manifestations de l’art qu’il nous a léguées. L’histoire des événemens politiques, des guerres, des invasions, ne nous enseigne que la vie extérieure d’un peuple ; l’histoire de l’art nous révèle sa vie intime, son âme. Les vieilles églises romanes, les cathédrales gothiques, nous en ont plus dit que les chroniques sur l’état d’esprit des