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réponse ne serait pas malaisée. Supposez que Louis XIV, plus ombrageux, eût marqué des limites à Molière, que les héritiers de l’hôtel de Rambouillet eussent obtenu quelque lettre patente contre les Précieuses ridicules, que la royauté eût écouté les doléances des marquis, ses courtisans fidèles, que l’Amour médecin eût été obligé de battre en retraite devant Esprit et Guenaut, les médecins de la cour, que le curé de Saint-Barthélémy, plus sévère qu’un légat et de nombreux prélats, eût réussi à faire interdire l’Imposteur, que serait-il arrivé de toutes ces atteintes à une honnête liberté, sinon que le poète et le public se seraient rejetés sur des libertés déshonnêtes ? Ne pouvant mettre sur la scène ni Cathos et Madelon, ni Dorante le chevalier d’industrie, ni Thomas Diafoirus, ni Tartufe, ni tant d’autres qui se plaignent, on eût joué Ninon, qui est toujours flattée qu’on s’occupe d’elle. Louis XIV fut mieux inspiré, et deux cents ans nous séparent de son gouvernement ; à cette époque, on pouvait appliquer au théâtre et à beaucoup d’autres objets encore l’axiome de droit, « que le préteur ne s’occupe point des petites choses. » Aujourd’hui que, pour le malheur des gouvernans et des gouvernés, l’état est partout, il n’est plus permis de dire : — L’état, c’est moi — sans avoir partout la main, et il n’est plus de petites choses pour le préteur. Aujourd’hui la Dame aux Camélias a quelque droit de se croire protégée par le ministre, et le Jean Giraud de la Question d’argent passe à tort ou à raison pour être exécuté par ordre.

Le double exemple de ce que pouvait être le théâtre sur les traces de Balzac et de Musset n’a pas été entièrement perdu dans les quinze dernières années : les écrivains dont il a joué les œuvres se recommandent évidemment tous de l’étude de l’un ou de l’autre ; mais il s’en faut que le second ait disputé au premier la foule et les succès bruyans. Sans doute des esprits distingués ont rallumé périodiquement le feu sacré de la comédie littéraire ; cependant leurs tentatives ressemblaient à des protestations partielles, locales, à des insurrections de la poésie et du goût contre le règne de la vulgarité. D’ailleurs ils pactisaient eux-mêmes avec l’ennemi ; les meilleurs d’entre eux ont fait l’école buissonnière avec Balzac. Le fond principal du théâtre contemporain ne doit pas être cherché ailleurs que dans le cycle sans fin laborieusement échafaudé par l’auteur de la Comédie humaine. D’où venaient tous ces bourgeois qui se faisaient leurs vertus avec des vices, tous ces voleurs qui prenaient d’assaut le crédit par des coups de Bourse, toutes ces filles qui, pour avoir aimé quelque nouveau Desgrieux, se décernaient une couronne de rosière ? Ils assiégeaient le théâtre, c’était une interminable procession ; d’où venaient-ils, sinon du laboratoire de