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délicatesse d’une époque ; cependant elles étaient une concession déjà considérable faite par le drame romantique à l’esprit du temps, et, remarquez-le, c’est par ce genre de pièces que M. Dumas père a surnagé. Un seul nom suffirait donc pour rappeler la physionomie du temps. Saluons dans le souvenir de Scribe la comédie du passé ; elle ne reviendra plus, mais il y a toujours lieu de tirer profit de ses leçons.

« Sur les quatre cents pièces que M. Scribe a écrites, dit M. Alexandre Dumas fils, laissez tomber Il ne faut jurer de rien ou le Caprice, c’est-à-dire un petit proverbe du poète le plus naïf, le moins expert dans le métier, et vous verrez tout le théâtre de Scribe se dissoudre et se volatiliser comme le mercure à une chaleur de trois cent cinquante degrés. » Rien n’est plus vrai que cette observation, malheureusement exprimée dans une phrase qui semble sortir d’un magasin de produits chimiques. Oui, telle est la puissance du sentiment du beau qu’un rayon de poésie efface les conceptions les plus ingénieuses d’où il est absent. Alfred de Musset, avec ces légers dialogues qu’il n’écrivait pas pour le théâtre, suffisait sans doute pour ébranler le Goliath de la scène. Pourtant, si l’on veut dire toute la vérité, Balzac lui a prêté la main : non qu’il ait réussi à se mettre en travers du courant qui menait la foule à Une Chaîne et au Verre d’eau pour la pousser du côté de Vautrin et de Mercadet ; mais au nom de Scribe on opposait celui de « notre cher, de notre illustre Balzac ; » les ambitieux, les avares, les intrigans de celui-ci étaient mis en regard des intrigans, des avares, des ambitieux de celui-là, et les faisaient singulièrement pâlir. Le public apporte au théâtre le souvenir de ses lectures, et de nos jours c’est le roman qui fait son éducation. On rapprochait donc le roman de la comédie, et il se trouvait que le livre imprimé était plus vivant, plus chaud de couleur que la scène. On parlait d’ailleurs de ses comédies tout simplement comme de chefs-d’œuvre écartés par la censure. C’est ainsi qu’aux approches de 1848 et immédiatement après l’édifice de la fortune de Scribe trahissait des symptômes d’affaissement.

On ne saurait s’étonner de l’espèce de silence qui se fit au théâtre en 1848. La plupart de ses favoris demeurèrent chez eux, intimidés ou attendant les vents favorables. Le grand, le vrai drame, se jouait dans la rue. Quand les questions politiques et sociales absorbent les esprits, une nation ressemble à une famille que les procès désolent, ou qui se voit menacée de la ruine. Les gens qui ne sont pas sûrs d’un lendemain délaissent leurs livres, leur musique, leurs objets d’art. Ce silence du théâtre, la comédie moins que tout autre pouvait l’interrompre. En pareille occasion, rien ne