Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’antagonisme constant qui a régné entre la comédie et le mouvement littéraire appelé romantisme. Après que la tragédie dite classique eut paru mourir de sa belle mort, la comédie, sa sœur cadette, médiocrement armée pour jouer le rôle principal, continua la guerre toute seule contre le drame usurpateur. Bien que sa nouvelle destinée ne l’eût pas beaucoup grandie, elle fut plus heureuse, dans la lutte que la tragédie, et si c’est vaincre que de rester maître de la place, elle remporta la victoire. Combien elle avait d’affinités avec l’esprit contemporain, quelles racines la rattachaient à son temps et la rendaient vivace, l’événement l’a prouvé.

Ce partage du public entre la comédie et le drame explique assez pourquoi, dans les années qui ont précédé la république de 1848, l’on n’a pas vu la succession de Molière et de Lesage se dédoubler entre deux théâtres, l’un plus haut placé, l’autre plus populaire. La comédie d’alors n’était point assez éloignée du vaudeville, et le public sur lequel l’un et l’autre pouvaient compter n’eût pas suffi à deux théâtres et à deux écoles. L’un et l’autre genre se rapprochaient tellement que les violons en faisaient souvent toute la distance, et que tous deux se confondirent en quelque sorte dans le même homme. Quoi que l’on pense aujourd’hui de la comédie de 1830 à 1848, qui est désormais pour nous celle du passé, le titre principal de Scribe est de l’avoir créée et de la constituer presque à lui seul. A quel degré il convenait au régime politique de juillet, le caractère bourgeois de son œuvre l’indique assez ; mais son atmosphère littéraire, ses conditions naturelles, son échéance pour ainsi dire, tombent si bien à l’époque des tentatives poétiques et théâtrales d’il y a quarante ans, qu’il serait malaisé de concevoir son existence en un autre milieu. Entre Scribe et les romantiques, point de combat : il n’y avait vraiment pas prise. Le théâtre de Scribe ne disputait pas ses auditeurs à celui de MM. Victor Hugo, de Vigny, Dumas ; il ne fut pas une réaction, il fut un second courant parallèle au premier, aussi étranger à celui-ci que s’il en avait été séparé par un ou deux siècles, roulant de son côté une eau peu profonde, mais intarissable, et finissant par dépasser l’autre.

Jamais la comédie et la tragédie ne furent mieux séparées au XVIIe siècle qu’au temps où l’on a prétendu les confondre. Ceux qui ont vécu dans ce temps se souviennent de l’orgueilleux mépris où un certain public amoureux du drame tenait la comédie et tout ce qui avait pour ambition de faire rire. Nous vîmes alors une jeunesse qui ne se déridait pas, une jeunesse qui menaçait de faire de bien grandes choses, s’il n’y avait pas eu sous ce sérieux une bonne part d’affectation. Une sorte de puritanisme littéraire avait prononcé l’interdit sur l’amusement ; il proscrivait la comédie, et